Et Dieu donnera la victoire
Reims. Dans le Conseil du dauphin, on continuait d’en débattre.
Alors qu’elle suivait de l’oeil, dans la cour du château de Béthune, les soins donnés à Pollux par le palefrenier, elle eut la surprise de voir s’avancer vers elle, avec un dandinement d’oie grasse, M. de La Trémoille qui, d’ordinaire, prenait soin de l’éviter. D’adipeux qu’il était quelques années auparavant, le Gros Georges était devenu obèse : visage bouffi, ventre en courge, jambes torses. Il répugnait à s’extraire de son cabinet et de sa chambre, car il s’essoufflait au bout de quelques pas.
Le ministre s’arrêta à l’ombre d’un cyprès, fit un signe à son domestique pour qu’on lui apportât son escabeau pliant, où il s’assit, un souffle rauque au fond de la gorge, en essuyant son visage gras de sueur.
Il demanda à Jeanne de s’approcher. Remarquant le regard qu’elle portait sur la breloque qui pendait à sa poitrine, il eut un sourire puis émit un rire en cascade qui ébranla son triple menton.
– À chacun son porte-bonheur, dit-il. Vous, c’est l’image de saint Michel, si je ne me trompe, et moi c’est la main momifiée du sire de Giac, ce brigand dont vous avez peut-être entendu parler. La main vendue au diable, à ce qu’on dit...
Jeanne se signa.
– Vous ne craignez pas... dit-elle.
– Que la diablerie se communique à ma personne ? Certes non. J’ai moi aussi mes saints protecteurs, pas les mêmes que les vôtres mais tout aussi précieux.
Jeanne se demandait ce que lui voulait ce poussah et s’il comptait la retenir longtemps debout dans cette cour surchauffée, quand il fit s’éloigner ses gens et dit, d’une voix qui roulait pêle-mêle graviers et glaviots :
– Mon enfant, nous allons partir à la reconquête du royaume de France, et je ne doute pas que vous y ayez bonne part. D’ici quelques jours, notre armée partira de Gien. Nous avons discuté du but que nous allions lui assigner et nous sommes résolus à nous porter sur la Normandie. Ce n’était pas, il me semble, le choix que vous aviez fait...
– Mon choix, dit-elle fermement, vous le connaissez, messire. Nul plus que moi n’aspire à la paix, mais elle ne se fera que lorsque les Anglais auront regagné l’Angleterre. Il faut pour les chasser un pouvoir qui ne puisse être contesté : celui d’un roi. Il nous faut donc marcher sur Reims et point sur la Normandie.
Écarlate, au bord de l’apoplexie, le Gros Georges se démena en faisant craquer son siège, criant qu’une telle obstination ne rimait à rien, que le dauphin avait pris sa décision.
– Je vois clair dans votre jeu ! lui lança-t-elle. Vous ne voulez rien tenter qui puisse mécontenter votre bon ami le duc de Bourgogne et vous vous accommoderiez bien de voir le dauphin Henri d’Angleterre sur le trône de France !
– Mais enfin, Jeanne, s’égosilla le poussah, le dauphin...
– J’en fais mon affaire ! s’écria-t-elle en prenant congé sans lui adresser un salut.
Elle sauta sur son cheval, galopa jusqu’à Loches, semant son escorte en cours de route. Bousculant les gardes, les huissiers, les secrétaires, elle tomba comme un boulet dans le cabinet où Charles était en train de rédiger son courrier. Elle fit évacuer le personnel et dit au dauphin qu’elle avait à lui parler et que cela ne pouvait attendre. L’entretien dura moins d’une heure. Lorsqu’elle quitta le cabinet, elle traversa comme un éclair la masse des courtisans, le visage radieux, comme flottant sur un nuage. Inquiète de cette visite impromptue, Madame Yolande attendait dans la cour. Jeanne lui tomba dans les bras.
– J’ai fini par obtenir que le dauphin change d’avis, dit-elle. C’est vers Reims que nous allons.
– Autre miracle... murmura la reine.
Jargeau, juin 1429
Si Pasquerel ne lui avait pas glissé discrètement son nom à l’oreille, Jeanne ne l’aurait pas reconnu.
On eût dit que le connétable Arthur de Bretagne, comte de Richemont, venait de livrer bataille dans un marécage à une bande de loups. Il avait de la boue et de l’herbe jusque dans sa barbe. Ses houseaux avachis étaient souillés d’une vase couleur de purin. La peille informe qui lui servait de couvre-chef n’abritait qu’une partie de son visage : celle qui portait la blessure d’Azincourt.
Avant même que la Pucelle eût ouvert la bouche pour lui souhaiter la bienvenue, il lui dit, avec un maigre sourire :
– Je ne suis guère présentable et
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