Et Dieu donnera la victoire
empruntait le pont pour s’échapper, accompagné de ses deux frères, John et Alexander. Ce dernier se jeta dans le fleuve et disparut dans un remous. Du châtelet montait le bruit d’une querelle : on se disputait au sujet des rançons éventuelles, entre les capitaines et leurs hommes auxquels se mêlaient quelques miliciens. Comme ils ne purent s’entendre, la plupart des prisonniers furent passés au fil de l’épée. Ceux que d’Alençon put soustraire à ces fauves furent conduits à Orléans.
Laissant Jargeau sous la garde d’une petite garnison, l’armée retourna le lendemain à Orléans, qui l’accueillit avec de nouvelles démonstrations de reconnaissance. Les édiles se montrèrent généreux avec les vainqueurs de Jargeau : ils firent une distribution de vin de Touraine – six tonneaux pour d’Alençon, quatre pour Jeanne, deux pour les autres capitaines et des rasades à volonté pour tous les héros du jour. Dieu veillait sur Orléans.
Jeanne retrouva le lit de Charlotte, dont elle sécha les larmes de joie et qu’elle entendit gazouiller à travers son sommeil. Le matin, elle découvrit dans la salle commune un garçon timide qui attendait sa venue, entouré de quelques commis portant des coupons d’étoffe.
– Un cadeau de nos concitoyens, dit Jacques Boucher. Nous allons vous faire confectionner une nouvelle huque pour remplacer celle que vous portiez hier et qui était en mauvais état, ainsi qu’une robe de velours que vous pourrez porter, si Dieu le veut, dans des conditions plus agréables que celles que nous connaissons. Maître Jean Luillier, le meilleur tailleur de notre ville, va prendre vos mesures et vous livrera ces vêtements ce soir même. Veuillez choisir, je vous prie...
– Si j’accepte ces présents, dit-elle à Jacques Boucher, c’est pour l’amour du bon duc Charles d’Orléans que les Anglais tiennent toujours en leur pouvoir.
Elle lui confia que son idée était de faire des prisonniers en nombre suffisant, non pour exiger d’eux une rançon mais pour les échanger contre l’illustre captif. Un projet irréalisable, elle devait en convenir à la longue, car les prisonniers qui n’étaient pas sujets à rançon étaient massacrés. Comme maître Boucher se montrait surpris de cet attachement insolite d’une jeune bergère pour un prince qu’elle n’avait jamais rencontré et dont elle ignorait tout en apparence, Jeanne lui répondit :
– Mes frères du Paradis m’ont dicté ce choix et m’ont parlé de lui. Grâce à eux, j’en sais plus sur lui que sur moi-même et sur le dauphin. Je connais sa pitoyable histoire et je sais qu’il reviendra bientôt...
Beaugency, juin 1429
Il aurait fallu être bien naïf pour croire que la chute de Jargeau allait contraindre l’ensemble des forces anglaises à se retirer. On les avait battues en amont d’Orléans. Restait à les chasser de l’aval. Entre Orléans et Blois, elles tenaient entre autres deux places fortes : Meung et Beaugency. Dans l’attente de la marche sur Reims, on ne pouvait laisser sur ses arrières ces poches de résistance qui pourraient se transformer en bases d’opérations.
L’aide d’Orléans était plus que jamais nécessaire pour cette entreprise risquée. Le duc d’Alençon demanda à la Pucelle de se charger des négociations.
– Ces bourgeois, dit-il, te donneraient leur chemise si tu la leur réclamais. Ils ne te refuseront pas de nouveaux subsides, des armes et quelques contingents de leur milice. Suffolk est encore en train de s’interroger sur ce qui a bien pu se passer à Jargeau, mais je crois qu’il a l’impression que c’est l’oeuvre de cette sorcière qui a envoûté ses ennemis ! Il faut profiter de la panique que tu as occasionnée.
Jeanne ne resta à Orléans que le temps de persuader le Conseil de ville de consentir un nouvel effort, dans son propre intérêt. On lui accorda tout ce qu’elle demandait.
Sur le départ, elle eût bien aimé ne pas rencontrer Charlotte, mais elle ne put lui échapper. La petite s’accrocha au mors de son cheval, la pria de mettre pied à terre et lui dit :
– Emmène-moi ! Je ne veux plus te quitter. Je veux me battre avec toi. Je veux...
– Tu veux trop de choses, dit Jeanne, et tu es trop jeune pour désobéir à tes parents. Dès que nous aurons bouté les Godons hors du royaume, je reviendrai à Orléans, c’est promis !
– Cela prendra combien de temps ?
– Dieu seul le sait, et Il ne me dit
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