Et Dieu donnera la victoire
péniches d’Orléans chargées de vivres et d’armes, de quoi mettre l’armée à l’abri du besoin et lui donner un moral d’acier. Accompagnée du maître artillier Jehan de Montesclère, Jeanne passa les batteries de bombardes en revue et les disposa judicieusement.
Il fut décidé que l’offensive porterait sur la vallée du ru et du côté du fleuve. Jeanne était optimiste : peut-être, devant la force de feu qui se déployait devant eux, les Anglais baisseraient-ils pavillon. On vint l’éveiller au milieu de la nuit pour lui annoncer que le commandant de la garnison, Richard Guethin, était sous la tente de d’Alençon en train de parlementer en vue d’une capitulation. Elle s’habilla et s’y rendit sur-le-champ. Elle trouva le duc radieux.
– Jeanne, dit-il, tu avais raison : le ciel est avec nous. Le capitaine Guethin, que voici, se propose de nous ouvrir ses portes.
– Il s’agit d’une reddition conditionnelle, précisa le capitaine. Nous quitterons la ville avec nos chevaux, nos harnais, nos armes et nos biens à concurrence d’un marc d’argent par homme. Je fais en outre le serment de ne pas reprendre les armes contre vous dans un délai de dix jours.
Tôt dans la matinée du lendemain, sous l’oeil narquois des Français et des Bretons qui leur firent une aubade de binious et de bombardes, la garnison anglaise se retira en bon ordre par le pont.
– Eh bien, Jeanne, dit d’Alençon, tu dois être satisfaite : Beaugency vient de tomber entre nos mains sans pillage et sans massacre. La route de Reims est ouverte...
– Hélas, dit-elle, nous n’en sommes pas encore là.
Richemont venait de lui apprendre que l’armée de Falstaff approchait de la Loire. Partie de Paris depuis environ un mois, cette armée prenait enfin corps. Elle avait, disait le connétable, reçu le renfort de John Talbot et de l’armée d’Orléans. Elle communiqua cette nouvelle au duc, qui ne s’en émut guère : on l’attendrait de pied ferme ici, à Beaugency. Jeanne ne partageait pas cet avis : il fallait se porter à ses devants pour briser son élan, sinon la Loire serait de nouveau menacée.
– Affronter les Anglais en rase campagne, dit-il, est risqué. Souviens-toi, Jeanne : Poitiers... Crécy... Azincourt...
– En nom Dieu, dit-elle, tenez compte de mes Conseils. Ils sont formels : si nous attaquons les Anglais, nous les mettrons en déroute !
Les capitaines qui entouraient le chef d’armée échangèrent un regard contrit et baissèrent la tête : lorsque Jeanne s’exprimait avec cet air inspiré de pythie, toute contestation devenait inutile.
Loches, juin 1429
Une lettre de maître Jacques Boucher, trésorier du duc Charles d’Orléans, ce matin : il se plaint – courtoisement – de ce que monseigneur le dauphin n’ait pas daigné faire la moindre apparition dans la ville délivrée de l’étreinte anglaise ni jugé bon de répondre aux invitations qui lui en avaient été faites. Une indifférence, peut-on lire entre les lignes, qui confine au mépris, ce dont les habitants risquent de s’irriter. Cette missive, le dauphin l’a lue, relue, l’a rangée depuis quelques jours dans l’intention d’y répondre – courtoisement – et puis le temps passe. Se rendre à Orléans, se laisser promener à travers la foule où il reste peut-être quelque Français renié prêt à mettre fin à ses jours par le poignard, non merci ! D’ailleurs, le grand chambellan est d’accord ; le grand chancelier, lui, n’a pas d’avis.
Tandis que Charles entreprend de rédiger pour chacune de ses bonnes villes une lettre leur annonçant la libération d’Orléans et des places fortes de la Loire, en faisant la part belle à la Pucelle, La Trémoille se penche discrètement sur son épaule.
– Hum...
– Quoi donc, Georges ?
– Si je puis me permettre, il semble que vous donniez beaucoup d’importance à cette garce, au détriment de vos capitaines et de vous-même.
– Eh bien, que proposez-vous ?
– J’écrirais par exemple que ladite Pucelle a été présente lors de ces actions. Je vous accorde qu’il serait indécent d’ignorer son courage, mais elle n’a agi qu’en tant que subalterne.
Charles tourne sa plume entre ses doigts, méditatif. Il se gratte le menton, éponge d’un revers de manche la goutte que le froid du petit matin fait perler à son nez.
– Présente... dit-il rêveusement. Présente... J’ajouterais : en personne .
– Fort bien, monseigneur !
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