Et Dieu donnera la victoire
garçon et j’en connais auxquels tu pourrais faire mordre la poussière. Tu me rappelles ma femme : elle ressemblait dans sa jeunesse à la déesse Rosemertha.
Il lui apprit que, dans les temps anciens, les gens adoraient une déesse guerrière qui portait ce nom. Son effigie de pierre subsistait sur la colline de Sion, droite comme un jonc mais avec des formes épanouies. Elle lui demanda où se trouvait Sion et si l’on pourrait s’y rendre facilement.
– C’est proche de Vaudémont, à moins de dix lieues de Domrémy. Si tu veux, je t’y conduirai bientôt.
– Demain... dit-elle.
Josef, sous le faux prétexte d’une affaire à régler à Neufchâteau, partit à l’aube avec Jeannette en croupe. Il leur fallut toute une journée pour accomplir cette randonnée. Jeannette en revint bouleversée par la contemplation de cette image de granit dressée au milieu d’un entassement de moellons. Josef avait raison : elle se reconnaissait dans cette déesse barbare aux allures de paysanne vigoureuse. On respirait autour d’elle un air chargé d’héroïsme et de mystère.
Ils rentrèrent à la nuit tombée, harassés. Jacques, furibond, réclama la vérité sur cette escapade. Josef la lui révéla, ajoutant qu’ils ne couraient aucun risque, cette région de Lorraine étant réputée calme.
– Josef, dit le père, tu as trompé ma confiance. C’est la première fois et ce sera la dernière. Si tu recommences, tu pourras faire ton bagage et foutre le camp ! Quant à toi, vermine...
Il leva sa grosse main sur Jeannette : elle le fixa d’un regard tellement chargé de défi que la main du père retomba.
La permission paternelle n’était pas nécessaire pour se rendre au Bois-Chenu. Jeannette y conduisit Josef un dimanche, en compagnie d’Hauviette, de Mengette et de quelques autres enfants du village. C’était par un beau printemps fardé de rose et de blanc par les pommiers et les cerisiers. Elle lui montra le hêtre géant.
– L’arbre, dit-elle. Mon arbre. Ma fontaine. On dit que les fées viennent la nuit danser et se baigner, mais personne n’a jamais pu les voir. Dès qu’on les approche, pfuittt ! elles disparaissent. Moi je sais que je les verrai un jour ou une nuit, que je pourrai les embrasser, respirer leur parfum, entendre leurs voix, danser avec elles...
– Comment peux-tu en être si sûre ?
– Je le sais, voilà tout.
Hauviette avait déplié sur l’herbe une grande nappe sur laquelle les autres filles avaient déposé le goûter : des tartelettes aux noix, des pains aux raisins et une gourde d’hydromel. On entendait au loin chanter le coucou et on lui répondait. De l’autre côté de la Meuse, en terre lorraine, le mont Julien se prélassait au soleil comme un gros chien couché dans l’herbe.
Les filles confectionnèrent des couronnes de primevères et de pervenches, dansèrent et chantèrent. Josef fit une longue sieste, son chapeau sur le nez, les mains sous la nuque. Hauviette, qui avait une voix agréable et chantait le dimanche à la messe, entonna une comptine :
Il est midi
Qui te l’a dit ?
La petite souris
En habit gris
Qu’est sous le lit...
On s’aperçut soudain que Jeannette avait disparu. On la chercha avant de la retrouver dans la profondeur de la forêt, agenouillée devant une croix faite de deux branches croisées qu’elle avait plantée là, Dieu sait pourquoi.
Hauviette dit à ses amies :
– Je trouve que Jeannette est bizarre depuis quelque temps. Elle se confesse jusqu’à trois fois par semaine à l’abbé Minet et va prier matin et soir à l’église, seule. J’ai voulu en plaisanter avec elle. J’ai cru qu’elle allait me battre !
– L’autre dimanche, ajouta Mengette, un mendiant est venu chez ses parents demander le gîte et le couvert. Elle l’a reçu comme un envoyé du ciel, a insisté pour qu’il couche dans son lit. Elle est allée dormir dans une couverture, près de la cheminée.
– Elle qui aimait tant danser, dit une autre pucelle, elle fait trois tours, s’arrête brusquement, comme si une idée lui était venue.
Une autre fille ajouta :
– Elle serait amoureuse que ça ne m’étonnerait pas.
– Amoureuse, Jeannette ? Peut-être, mais ça ne peut être que du bon Dieu. Quelquefois elle pleure en priant...
Zabelle observa sa fille et hocha la tête, les poings au creux des hanches.
– Toi, dit-elle, tu as fichtrement grandi en peu de temps.
– Comme la mauvaise herbe ! lança ce
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