Et Dieu donnera la victoire
tombait lorsque Charles, ainsi qu’il le faisait chaque soir, s’enferma dans son oratoire et, comme chaque soir, se retrouva sous le grand Christ d’argent encadré de cierges, face à lui-même, la tête pleine à craquer des questions qui l’obsédaient. Plongé dans la pénombre de ses incertitudes, il guettait la petite lumière où s’accrocher pour ne pas sombrer dans le désespoir et renoncer à sa mission. En fait, il eût fallu un miracle pour le délivrer de ses angoisses. Il lui arrivait d’y croire mais plus souvent d’en douter. Dans cette époque oubliée de Dieu, jetée en marge de l’Histoire, se manifestaient des signes contradictoires : une épée de feu traversait les nuées, des pluies de comètes embrasaient l’empyrée, des monstres naissaient, des nécromants, des sorcières, des prophètes prédisaient la fin du monde. Une telle accumulation de prodiges ne pouvait être que la manifestation d’une volonté supérieure ; il faudrait bien qu’un jour cette volonté s’exprimât en faveur de ces pauvres humains accablés par les famines et les guerres.
Une ancienne prédiction de l’Enchanteur Merlin courait l’Occident : elle annonçait que le royaume de France serait perdu par une femme mais régénéré par une vierge. Cette femme était-elle la reine Isabeau, cette vierge Marie ? Le dauphin et le royaume tout entier interrogeaient les augures, comme jadis les Hébreux dans l’attente d’un fils du roi David.
Un matin de décembre tout brasillant de neige fraîche, Charles invita son épouse à l’accompagner pour une chasse au chevreuil dans la forêt de Saumur. Elle déclina cette amabilité :
– Pardonnez-moi, monsieur mon mari, mais je ne puis vous suivre. J’attends un enfant. Si c’est un garçon, j’aimerais que nous lui donnions le prénom de mon père : Louis 1 .
Charles descendit de cheval, pressa Marie contre sa poitrine. Peut-être était-ce là le miracle qu’il espérait...
1 - Il naîtra le 3 juillet 1423. Ce sera Louis XI.
Domrémy, 1423
Josef, qui apprenait à Jeannette l’exercice des armes, savait aussi la distraire par des jeux plus innocents. Il lui dit un jour :
– Sais-tu comment on sait l’âge d’un lièvre ? En comptant les taches qu’il a sous la queue.
Il lui apprit à prévoir le temps en observant le vol des étourneaux. Il avait eu connaissance de ces faits et de bien d’autres dans les grimoires des moines d’Obersteingen.
– Tu sais lire, Josef ? s’étonnait Jeannette.
– Lire et écrire. Si tu veux, je peux t’apprendre.
– Mon père dit que ça ne sert à rien.
– Il a tort. Il faudrait au moins que tu apprennes à signer de ton nom.
Les moines avaient appris à Josef bien d’autres merveilles, notamment comment devenir un bon berger. Ils lui avaient confié un ouvrage de Jehan de Brie, Le Calendrier et Compost des Bergers , qui lui avait permis de faire de son troupeau le plus prolifique et le plus beau des Vosges. Que les routiers de Vergy l’eussent massacré, il ne pouvait s’en consoler.
– Sais-tu comment on se protège du loup en gardant son troupeau ? Il faut bourrer les clarines avec de l’herbe pour étouffer leur tintement. Pour guérir tes brébiales de la clavelée, tu dois suspendre dans la bergerie des bouquets de juscarime et d’heuvebonne cueillis la nuit de la Saint-Jean. Quant à la tenue du berger...
Josef n’avait pas fini de la surprendre ! Elle n’avait vu naguère dans ce colosse rompu aux exploits guerriers qu’un redoutable soudard, et le voilà en train de lui parler de fleurs, d’oiseaux, de moutons...
– Il faudra, lui dit-elle, que tu racontes tout ça à l’oncle Laxart. Il en fera sûrement son profit. Lui aussi sait lire et écrire. À la veillée, il nous lit des passages de l’ Imitation et de la Bible. Il est très savant.
– Je n’en doute pas, Jeannette, mais il ne m’aime guère, le bougre.
– C’est peut-être parce que tu m’aimes trop...
Josef apprit à Jeannette à monter à cheval, à commander à sa monture, à courir la bague accrochée à une branche de saule. Elle ne se lassait jamais de ces exercices ni Josef d’admirer sa bonne assiette et sa belle assurance.
– Dommage que tu ne sois pas un garçon, ma Jeannette. Je t’aurais appris des ruses de guerre.
– La guerre, Josef... Tu n’as que ce mot à la bouche. Tu me vois à cheval, avec une cuirasse et une lance, moi, une pucelle de onze ans ?
– Tu es bâtie comme un
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