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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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postales.
    — Bien sûr. Nous négligeons toujours les achats par catalogue.
    Les petits coups de dents sur ses oreilles enlevèrent à Thalie l’envie de discuter de ce sujet. Elle se retourna sur le dos pour voir le visage de son compagnon. Il se tenait sur ses bras tendus, les mains posées de chaque côté de ses épaules, comme à l’entraînement.
    — Si tu veux manger quelque chose, dit-elle, je peux nous faire une omelette. Les œufs sont les meilleurs amis des femmes vivant seules, peu désireuses de développer des talents culinaires.
    — Mais je ne veux pas arrêter tout de suite notre petit festin. Il y a encore des coins de ton corps que je n’ai pas vus de près.
    Il plia les coudes pour permettre à ses lèvres de se poser sur sa joue, descendre vers son oreille droite. Elle tourna la tête pour lui faciliter l’accès, tout en disant:
    — Manger ne veut pas dire te chasser tout de suite après.
    Si tu prends un peu de forces...
    — Présenté de cette façon... Mais si tu veux te transformer en cuisinière
    exemplaire,
    j’aimerais
    que
    tu
    restes
    dans cette tenue. Cela me gardera en appétit.
    Un moment plus tard, en costume d’Eve, Thalie se penchait sur sa cuisinière électrique. L’appareil lui donnait un excellent service, mais jamais elle n’avait imaginé s’en servir dans ces circonstances, surtout avec un homme, tout aussi nu qu’elle appuyé au chambranle de la porte. Louis la regardait avec des yeux gourmands, un sourire amusé sur le visage.

    *****
    L’effet de la morphine finit par s’estomper. Au milieu de la nuit, Eugénie ouvrit ses grands yeux bleus sur une obscurité profonde, celle de la chambre dont on avait baissé le store à la fenêtre. La douleur dans son ventre devenait une amie, la preuve qu’elle était encore vivante, malgré le silence ambiant.
    Cet espace privé, plutôt qu’une pièce commune, tenait à la gentillesse de son époux. L’homme, prévenant, désirait lui éviter la proximité des autres malades. Malgré cette précaution, elle ne se trouvait pas vraiment seule. Désormais, la mort rôderait sans cesse aux alentours.
    — Je vais mourir.
    Les muqueuses de sa bouche demeuraient si sèches que la voix sortit comme un croassement, au point de la faire sursauter. En même temps, briser le silence la rassurait, prouvait sa propre existence.
    — Je vais m’éteindre, comme un feu de cheminée trop longtemps privé de combustible.
    Elle essayait d’imaginer ce passage comme une langueur un peu plus profonde que toutes les autres. Une trop grande fatigue rendrait le sommeil, même définitif, bienvenu.
    — Mais dans ce sommeil-là, aucun rêve, aucune angoisse.
    De toute façon, l’inquiétude tient seulement au fait que l’on va se réveiller, renouer avec cette misérable vie.
    «Aucun repos n’apaise vraiment, songea-t-elle, il retarde tout simplement l’horreur de replonger dans la réalité. »

    La menace d’une maladie fatale engageait nécessairement dans un bilan. Pendant des heures, Eugénie s’attacha à dresser la liste des choses auxquelles elle tenait. Au bout de l’exercice, il ne restait rien. Fernand ? Alors qu’elle fréquentait encore le couvent des ursulines, il lui apparaissait gros, laid, plus ennuyeux que le jour de pluie le plus long.
    Il lui avait été utile pour sortir de la maison paternelle. Le côtoyer ensuite tous les jours lui avait simplement appris à ne plus pouvoir le supporter. Littéralement, il la rendait malade, tout comme l’abus de pommes trop vertes, l’été, vrillait les intestins.
    Tenait-elle plus aux enfants ? Dès le début, leur détermination à naître lui avait déchiré l’entrejambe. Pendant des mois, cela avait été de petites masses de chair braillardes et puantes. Des myomes eux aussi, des excroissances de son utérus dont personne n’avait eu la bonté de la débarrasser.
    — Le chirurgien n’a même pas été capable de se présenter au bon
    moment,
    résuma-t-elle.
    C’est
    alors
    qu’il
    aurait dû m’enlever cette usine à bébés.
    Pendant des années, l’attention de tous s’était portée sur ces homoncules. Son mari, sa belle-mère, Jeanne, tout le monde se penchait sur ces êtres inachevés avec des mines béates. Et en grandissant, le trio tournait toute son affection vers le gros bêta, la domestique, la vieille recluse réfugiée dans l’appendice, derrière la maison.
    — J’ai pourtant essayé d’être gentille, de jouer mon rôle de

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