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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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l’aime pas vraiment.
    — Oui, je sais.
    — Le plus grand bonheur que j’ai à me trouver ici, c’est d’être loin d’elle.
    — Je t’ai proposé d’y venir exactement pour cette raison.
    Son regard, à ce moment, était celui d’une femme adulte très lucide, vrillé dans celui de son père.
    — M’éloigner de toi, de grand-maman et de mes frères me fait de la peine. Même les domestiques me manquent.
    J’ai envoyé un mot à la cuisinière, un autre à la bonne.
    L’homme hocha la tête. Toute la correspondance de la maison lui passait entre les mains.
    — Mais j’accepte d’être ici, car sa présence me met... Je ne sais pas comment le dire, mais tu comprends.
    Le père hocha la tête. Le malaise entre elles était palpable.
    — En même temps, je me sens tellement coupable de ne pas ressentir la même chose que mes amies pour leur propre mère. Elles pensent toutes que, depuis une semaine, je me ronge d’inquiétude pour elle. En réalité, je me sens monstrueuse.
    La grande main joua d’abord dans ses cheveux, puis attira la tête afin de poser ses lèvres en haut du front.
    — Une pensée de ce genre, murmura-t-il, c’est un peu comme le cancer de maman. Tu dois l’arracher bien vite, et essayer qu’il n’en reste pas de petits morceaux pour te ronger plus tard. L’amour ne se commande pas. Si tu ne le ressens pas, cela ne fait pas de toi une mauvaise fille.
    — Mais toutes les autres...
    Dans un sanglot, la suite de la phrase s’étouffa.
    — Tut, tut, tut, murmura Fernand dans ses cheveux. Tu vois le rosier là-bas ?
    Il ne continua que lorsqu’elle fut capable de murmurer un « Oui » réticent.
    — Il a commencé comme une graine que quelqu’un a mise là. Puis cette personne l’a arrosé, en a pris bien soin.
    Antoine te dirait avec précision la quantité de fumier nécessaire pour faire pousser un arbuste de cette taille.
    Maintenant, il pourrait même te donner cette information en latin.

    L’allusion à la scène lui tira un petit rire hésitant.
    — L’amour ressemble à ça. Il pousse très bien dans ton cœur. Tous les gens qui ont bien voulu y mettre leur petite graine, en prendre soin avec de la tendresse, de la douceur, de la gentillesse, tu les aimes.
    Cette comparaison agricole, Fernand la tenait de sa mère. Au fil des ans, elle n’avait pas cultivé que des lilas.
    — ... Aux yeux de maman, je ne suis pas assez bien. Je ne mérite pas un tel effort.
    — Non, penses-y soigneusement.
    —; ... Elle ne souhaitait pas le faire.
    L’homme hocha la tête. La conversation prenait mu-
    étrange tournure.
    — En même temps, précisa la fillette, je prie vraiment pour elle, je souhaite qu’elle se rétablisse.
    — Moi aussi. Mais nous savons tous les deux que nous devons chercher ailleurs l’amour dont nous avons besoin.
    J’en ai une grosse provision pour toi.
    — La mienne est plus grosse.
    Une petite envie de rire pointait dans sa voix. Qu’une seule personne sache exactement ce qu’elle ressentait, tout en continuant à lui affirmer une affection indéfectible, la rassurait. Ils demeurèrent si longtemps à regarder le fil de l’eau que Fernand frissonna à son tour.

    *****

    La mère supérieure avait reçu une note brève de la part de monsieur Dupire. Quand il raccompagna sa fille dans le hall, au lieu de lui rappeler que l’heure des visites s’était terminée vingt bonnes minutes plus tôt, elle le salua d’un signe de la tête.

    Au réfectoire, lors du souper, Béatrice picora dans son assiette, sans appétit. Ses camarades lui jetaient des regards pleins de compassion, se privaient d’aborder les sujets de conversation les plus hilarants, par gentillesse. Pourtant, avec le passage des parents dans ces lieux, les anecdotes ne manquaient habituellement pas, le dimanche. Les frasques des frères aînés, plus rarement des cadets, en fournissaient la matière.
    A neuf heures, les plus jeunes élèves devaient se trouver dans leur lit, les plus âgées profitaient encore de soixante minutes de liberté. Sur sa couche étroite, la blonde se tourna vers la gauche, sa voisine immédiate vers la droite.
    — Ça va ? souffla Claire.
    La voix était à peine perceptible. Le dortoir comptait trente lits disposés sur trois rangées, une pionne - une surveillante - dormait dans une alcôve. Elle devait réprimer tous les désordres, petits et grands. Bavarder après l’extinction des lumières en était un.
    — Oui, ça va. Mon père est

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