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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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    — Je me demandais si vous ne pouviez pas me donner quelques heures de travail toutes les semaines. Vous savez que mon père est mort.
    — ... Oui, je sais. Je n’ai pas eu l’occasion de t’offrir mes condoléances.
    Le garçon haussa les épaules, comme pour dire : « Ça n’a pas d’importance. »
    — Tout de même, cet événement a causé un choc à tout le monde, continua son interlocuteur: s’effondrer raide mort comme ça, le jour de son retour dans le magasin.
    Mieux valait le détourner de ce sujet, sinon il en viendrait à débiter des inepties sur la fragilité de l’existence humaine.

    — Son départ nous a laissés un peu coincés, ma mère et moi. Si je travaillais quelques heures, cela me permettrait de me payer le cinéma une fois de temps en temps.
    — Tu as abandonné tes études ?
    — Non, bien sûr que non. J’ai investi tellement d’années.
    L’autre secoua la tête, prévoyant déjà la conclusion de cette conversation.
    — Tu termines les cours à quelle heure ?
    — Comme ce soir. Je suis venu directement après.
    — En tramway ?
    — A pied. Comme je vous l’ai dit, nous sommes serrés, alors quand il fait beau, j’économise le prix des tokens.
    La déception sur le visage de l’employé paraissait sincère. Les deux mains ouvertes, les paumes tournées vers son interlocuteur, il résuma :
    — Les camions sont presque tous revenus, les hommes quitteront les lieux d’ici une demi-heure. Je suis désolé, mon gars.
    — Oui, je comprends.
    Avec cet aveu, Jacques en avait terminé de son prétexte.
    Il commença par demander :
    — Vous avez quelques minutes devant vous ?
    — Oui. Pourquoi ?
    — Lors de la veillée au corps, les gens insistaient sur la bonne entente entre mon père et le patron. Je veux dire Thomas Picard. Vous étiez là, dans le temps.
    — Depuis bientôt trente ans... Mais tu sais, à ce bout du commerce, on ne voit pas trop le propriétaire.
    L’homme marqua une pause, puis il se résolut à faire une bonne action.
    — Mais je pense que tu as raison, Picard estimait ton père. Il l’a eu comme secrétaire, puis il lui a confié les ateliers.

    C’est un signe de respect, ça.
    — C’était quel genre d’homme? Je veux dire Picard. Je l’ai croisé assez souvent, mais au moment de sa mort, j’avais dix ans.
    — Ah ! Monsieur Thomas, c’était quelqu’un. Tu sais qu’il était l’organisateur politique de Wilfrid Laurier?
    Jacques acquiesça de la tête. Sa mère avait relevé le fait quelques semaines plus tôt.
    — Avec lui, le grand homme n’avait rien à craindre, renchérit le directeur des livraisons. À chaque élection, les gens le réélisaient sans hésiter.
    — Il aimait les femmes ?
    L’autre le toisa, soudainement méfiant.
    — Comme cet été, tout le monde parlait de la séparation du fils, expliqua le visiteur, je me demandais si le père partageait les mêmes goûts.
    — Ah! Monsieur Edouard! Il s’en raconte de belles à son sujet. Si seulement la moitié de ces histoires sont vraies, le gars ne s’ennuie pas.
    Jacques hocha la tête, comme si cela correspondait à son opinion sur le sujet.
    — Mais Thomas ?
    — Du temps de mon père, les gens se racontaient quelque chose à l’oreille. Tu comprends, dans le temps, personne n’abordait ce sujet à haute voix. Mais je suis là depuis 1900, et depuis, aucune rumeur...
    — Je me souviens un peu de son épouse, une grande blonde...
    — Elisabeth ? Une beauté, je n’ai jamais vu une femme comme elle. Avec elle à la maison, personne n’irait voir ailleurs.
    Il ne devait même pas avoir envie de regarder les autres.
    En évoquant ce souvenir, le chef de service arborait un sourire envieux. Visiblement, lui ne disciplinait pas ses yeux en présence de l’objet de ses désirs.
    — Il y a des hommes qui ne peuvent pas s’en empêcher, commenta Jacques. La femme d’Edouard n’est pas vilaine...
    Je l’ai vue parfois lors du pique-nique de l’entreprise. Cela ne la met pas à l’abri des incartades de son mari.
    — Elle ne se compare pas vraiment à l’autre. Ce n’est pas juste une question de courbes à la bonne place ou de traits du visage. Quand on les voyait ensemble..
    L’homme s’arrêta, leva les yeux vers le visiteur avec un sourire amusé, puis il commenta, gouailleur :
    — Toi, mon gars, tu as l’air obsédé par les femmes des autres. J’espère que tu ne rêves pas de te faire prêtre.
    Quand une personne d’origine modeste

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