Eugénie et l'enfant retrouvé
celui-ci ne posait pas de question. Il lui suffisait de savoir que la propriété ne risquait aucun dommage entre les mains de ce visiteur.
Comme le couple ne se rencontrait guère plus d’une fois par semaine dans l’intimité, le tête-à-tête devenait très vite fébrile. Une fois les sens satisfaits, venait le temps des confidences murmurées, le plus souvent étendus sur le lit, une musique diffusée du salon en toile de fond.
— Eugénie se remet-elle de son opération ? questionna Élise.
Assise sur le matelas, le dos appuyé contre la tête du lit, la femme caressait la tête de son compagnon posée sur son giron.
— Tout semble se dérouler normalement. Depuis quelques jours, elle descend souper en famille avec régularité.
Avoir été longtemps l’amie de l’épouse de son amant créait une situation étrange. Depuis sa maladie, elle devenait leur sujet habituel de conversation.
— Et son moral ? Je ne voudrais pas vivre avec une telle menace au-dessus de la tête.
— Moi non plus. La mort est une chose, mais recouvrer la santé comme elle le fait, tout en sachant qu’au creux de son ventre des cellules malignes se multiplient peut-être, cela fait penser à une grossesse morbide, tu ne trouves pas ?
Avec le cancer comme rejeton.
— Elle doit être terrorisée.
Fernand se tourna sur le dos pour regarder sa compagne.
Sa position lui donnait un curieux point de vue sur ses seins.
Un peu lourds, ronds, ils semblaient un hommage à la fin de sa trentaine et à ses deux maternités. Il leva la main droite pour les caresser.
— Cela me surprend un peu, commenta-t-il après un moment, mais elle n’aborde jamais le sujet.
— Pourtant, elle nous a donné l’habitude de commenter abondamment chacune de ses petites afflictions.
— Les petites, oui. Hier à table, elle nous a entretenus d’un ongle cassé... Elle évoque rarement sa cicatrice, et jamais le cancer.
— Tu crois qu’elle arrive à se convaincre que la menace n’existe pas ?
Le sujet méritait un instant de réflexion.
— Je ne sais pas, dit Fernand. Au fond, nous devrions tous faire comme si la mort n’existait pas, tout en acceptant son imminence.
— «Je viendrai comme un voleur. »
Les prêtres et les membres des ordres enseignants revenaient sans cesse sur cette parole du Christ, afin de convaincre chacun de se conserver en état de grâce.
— Je vois la chose d’une façon un peu plus terre à terre...
Nous avons fait l’amour gentiment en nous croyant immortels. Un gros homme comme moi peut s’écraser tout à l’heure en rentrant à la maison, victime d’une crise cardiaque.
— Si tu veux mon avis, ton cœur paraît se tirer très bien d’affaire. Et si tu es inquiet, je vais moi-même mettre ton nom dans le carnet de rendez-vous de papa.
Il leva la main droite pour l’arrêter.
— Je veux dire, imaginer notre décès nous aurait empêchés de prendre du plaisir ensemble. D’un autre côté, cela peut arriver, je le sais. La conscience de ma fin me donne envie de profiter de toutes les chances d’être heureux. Mais si tu me fixais une date d’échéance, même vague, je ne penserais plus qu’à cela.
— Tu es devenu sage.
— Cela accompagne la perte des cheveux.
Elise le pinça au flanc en riant et fut récompensée d’un baiser sur le ventre.
— Et Eugénie, dans tout cela ?
— Elle semble résolue à faire comme si de rien n’était.
D’un autre côté, son côté revêche s’estompe un peu.
— Peut-être
veut-elle
enfin
profiter
un
peu
de
l’existence.
Elise se souvenait de son amie résolue à gâcher tous les moments de plaisir par son mauvais caractère.
— Eugénie se montre moins désagréable avec moi, ajouta Fernand. Surtout, son attitude avec les enfants devient plus saine.
— Avec succès ? demanda Elise, un peu sceptique.
— On ne peut pas passer une existence à construire un mur autour de soi, et faire ensuite comme si de rien n’était.
Une pure étrangère remporterait plus de succès, car il n’existerait pas une série de mauvais souvenirs.
Ses efforts manquaient de naturel, ses gestes, de tendresse.
Ses
tentatives
amenaient
invariablement
les
garçons
à se raidir, surpris.
— D’ailleurs, continua l’homme, notre infirmière remporte un franc
succès.
Les garçons
doivent
vieillir, car sa
présence les fascine...
— Ils ont un petit coup de cœur pour elle ?
La femme disait cela avec un sourire. Son fils avait
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