Eugénie et l'enfant retrouvé
souhaitait faire des études, tout le monde pensait à ce choix de carrière.
Jacques s’en agaçait.
— Non, avocat.
Son interlocuteur ne remarqua pas le mouvement d’humeur.
— Tant mieux. Je ne voudrais pas voir mes enfants se confesser à un séducteur...
Son sourire moqueur rendait le terme plutôt anodin.
— Et pour répondre à ta question, tes deux questions en réalité, voilà : monsieur Thomas paraissait bien apprécier ton père, et plus encore sa femme.
— Et que fait-elle, depuis son veuvage ?
— Elle posséderait une grande maison de chambres à la Haute-Ville. Le genre d’endroit où vont loger des ministres, des avocats... Tiens, tu pourras y aller plus tard !
Jacques choisit de s’amuser de la répartie. Il regarda la montre à son poignet.
— Je suis en train de vous retarder pour le souper, dit-il en se levant.
— Pas encore, mais tout de même, j’ai un peu à faire avant de partir. Je suis désolé pour ton père, et aussi pour tes heures de travail. Mais à moins que tu t’absentes de tes cours, je ne peux pas te rendre service.
— Non, je ne ferai pas ça. Je verrai dans un restaurant, dans un cinéma. Quelque chose qui ferme un peu plus tard.
— Alors, bonne chance, mon gars.
Un peu plus tard, le visiteur traversait le magasin pour atteindre la porte avant. Il sortit en même temps que les employés. Il reconnut Germaine Huot dans le lot. Elle quitta les collègues avec lesquelles elle faisait parfois le chemin jusqu’à la maison pour venir vers lui.
— Je ne savais pas que tu devais passer par ici ce soir.
Au cours des dernières semaines, au gré de promenades au parc Victoria ou alors de sorties au cinéma, ils avaient convenu de se tutoyer.
— Je ne savais pas moi non plus. Je suis venu voir si je pourrais travailler quelques heures ici.
— La période d’activité du magasin coïncide avec tes classes.
— Je m’en suis bien vite rendu compte.
Une fois dehors, le jeune homme offrit son bras à sa compagne. Ses inquiétudes à la fois sur ses origines et son avenir l’amenaient à lui montrer plus de considération.
— J’ai profité de la conversation pour demander au chef de service de la livraison ce qu’il pensait de Thomas Picard et de ses relations avec sa femme.
— Mais pourquoi cela ?
— Selon ma mère, le marchand a été le premier à parler à Fulgence d’une adoption.
— Cela me fait tout drôle de t’entendre évoquer un parent par son prénom. Si je faisais cela, je me ferais chauffer les oreilles.
Le couple venait de s’engager dans la rue Dupont.
Bientôt, il traverserait la rivière Saint-Charles.
— Tu le sais bien, ce n’était pas mon père.
— Tout de même, il t’a élevé. Tu conviens toi-même qu’il a fait de son mieux.
A chaque fois que le sujet revenait entre eux, elle tentait de faire bifurquer la conversation. Pourtant, cette fois, sa curiosité fut la plus forte.
— Qu’imagines-tu sur le rôle de monsieur Picard ?
— Il a mis une fille enceinte, et il a cherché à se débarrasser de l’enfant en le confiant à... mes parents, si tu tiens à cette expression.
La jeune femme serra sa main sur son bras. Puis elle le lâcha pour boutonner son manteau jusqu’au cou. Novembre amenait un vent froid du nord-est. La soirée semblait propice à la première neige de l’hiver.
— Au magasin, il y a les photographies des trois propriétaires successifs. De Zéphirin à Edouard, ils avaient les cheveux bruns. Tu es blond comme les blés.
— Mais nous ne savons rien de la mère...
Une idée absurde lui traversa l’esprit. Elisabeth était blonde, il s’en souvenait très bien. Puis il secoua la tête. Ce couple n’avait certainement pas confié son propre enfant en adoption.
Germaine avait repris son bras. Après s’être mordu la lèvre inférieure, elle émit un commentaire d’une voix douce :
— Tes cheveux rappellent ceux de ta mère, celle qui t’a élevé.
Il se raidit, arrivant avec peine à maîtriser un mouvement de colère. Thérèse elle-même avait confirmé son adoption.
Puis le couple recevait un chèque trois fois par an. Elle n’aurait pas accepté de l’argent pour élever son propre fils...
sauf du père, bien entendu.
Il poussa un soupir. Cette histoire le hantait au point de nuire à ses études.
*****
L’appartement de Thalie continuait de représenter un havre de paix pour Fernand. Il ne se donnait plus la peine de fournir un prétexte au gardien, et
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