Eugénie et l'enfant retrouvé

écoles d’agriculture depuis l’été dernier, et avoir présidé la plupart des concours de bétail. Chaque minute a été agréable, pourtant.
    Le garçon reconnut Paul Dubuc pour avoir vu sa photographie dans le journal à quelques reprises.
    — Toutes ces obligations ne vous empêcheront pas de venir souper avec moi demain soir ?
    — Non, intervint Marie, nous serons là un peu après six heures. Je te rebattrai les oreilles avec ce fameux voyage, après avoir épuisé celles de mes enfants aujourd’hui.
    — J’écouterai avec plaisir. Mais si nous ne voulons pas voir le curé de la cathédrale froncer les sourcils à cause de nous, entrons tout de suite.
    Le couple Dubuc passa le premier dans le temple, s’arrêta près de la grande vasque d’eau bénite pour se signer.
    Jacques s’arrangea pour se livrer au rituel au même moment qu’Elisabeth Picard. La femme leva les yeux et lui adressa un sourire. A cet instant, les paroles du responsable du service de livraison
    lui
    parurent
    véridiques.
    Thomas
    ne
    pouvait avoir négligé son épouse pour faire un enfant illégitime ailleurs.
    Pendant la messe, le garçon se tint à l’arrière de l’église, près des portes. Il profita du moment de la communion pour examiner les visages des paroissiens, cherchant une ressemblance avec ses propres traits. Son père et même sa mère devaient se trouver parmi ces gens, ou peut-être à l’église Saint-Dominique, la paroisse desservant maintenant la Grande Allée et les rues avoisinantes.
    Dix fois, il crut reconnaître un air de famille chez un inconnu. Dix fois, il se trouva ensuite tout à fait ridicule. A la fin de la messe, il surveilla Elisabeth Picard quand elle quitta son banc. De la tête, elle salua le couple Dubuc, souriante, puis elle resta un long moment debout devant les grandes portes en chêne de la basilique. De nombreux paroissiens lui présentèrent leurs respects au passage.
    Finalement, il ne restait que quelques hommes, réunis en duos ou en trios pour discuter de politique ou d’affaires.
    Le garçon essaya de se donner l’air d’attendre un ami. Il fixait la rue Buade, comme si l’intensité de son regard pouvait faire apparaître un camarade du Petit Séminaire.
    Aussi fut-il le premier à voir un monsieur respectable, grand et mince dans son paletot noir. Les guêtres sur ses chaussures attirèrent son attention. Elisabeth fit trois pas en sa direction, la main tendue.
    — Bonjour, ma chère. Le bon père dominicain s’est montré un peu plus bavard que d’habitude. Même en allongeant le pas ensuite, me voilà en retard.
    — Cela m’a donné l’occasion de respirer un peu d’air frais, après tout cet encens. Je suis contente de te voir, Oscar.
    Ils se tenaient la main, visiblement déçus de réprimer l’envie qu’ils avaient de se faire la bise.
    — Allons-nous nous asseoir tout de suite au Kherulu ?
    demanda-t-il.
    — Pourquoi pas ? Nous aurons tout notre temps pour une longue marche cet après-midi.
    Le couple descendit la rue de la Fabrique bras dessus, bras dessous, et pénétra dans le commerce sous les yeux de Jacques Létourneau. Quand celui-ci marcha vers la Basse-Ville, il les aperçut à une table placée près de la fenêtre.

    *****
    Le Palais Royal ouvrait ses portes vers une heure les dimanches, pour faire le plein de spectateurs. Ce jour-là, à chacune des représentations successives, aucune place ne demeurerait libre. Germaine Huot arriva bientôt, un peu essoufflée par le trajet depuis Limoilou.
    — Nous aurions pu faire route ensemble, reprocha-t-elle à Jacques en lui abandonnant sa main.
    — Ce matin, je suis allé à la messe à la cathédrale.

    Pendant qu’ils se plaçaient dans la file d’attente, elle déposa quelques sous dans sa paume. Les garçons payaient pour leur cavalière, selon les usages. Si elle assumait le coût de son entrée, cela se faisait en toute discrétion, pour ne pas écorcher la fierté masculine plus qu’elle ne l’était déjà.
    — Et pourquoi faire tout ce chemin pour aller à la messe ?
    — Je voulais voir le visage d’Elisabeth Picard. Je me rappelais d’elle, on la voyait lors des pique-niques annuels des employés du magasin. Même à plus de cinquante ans, elle demeure une femme remarquable.
    — Toujours cette obsession, commenta-t-elle d’une voix un peu lasse.
    — Son mari cherchait une famille adoptive, à la fin de 1908.
    Le caractère un peu scabreux de la conversation les obligeait à