Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
ou alors de ma patronne, corrigea Jeanne. Je n’ai pas de maîtresse depuis plus de trois ans. Si vous voulez entrer.
    Un instant plus tard, elle frappa à la porte des appartements privés d’Elisabeth. La propriétaire des lieux présenta un visage impassible.
    — Merci, Jeanne. Eugénie, si tu veux entrer. J’ai demandé du thé, il nous sera apporté dans quelques minutes.
    La visiteuse se raidit sous le tutoiement. Mais comment s’adresser à elle autrement? Cette femme l’avait connue enfant. Elle entra dans le petit salon, occupa le fauteuil qu’on lui désignait.
    — J’ai appris, au sujet de ta santé, continua l’hôtesse en fermant la porte. Je te souhaite la meilleure des chances.
    Sincèrement.
    La visiteuse fixait des yeux cette femme toujours séduisante, plus maîtresse d’elle-même que jamais auparavant. Comme la préceptrice
    embauchée
    en
    1896
    se
    trouvait
    loin. Et pourtant, il s’agissait de la même personne, soucieuse de la bonne posture, de la bonne parole, de la bonne attitude.
    — Je suppose que mon frère a répandu la nouvelle.
    — Je ne pense pas qu’il ait clamé la chose sur les toits.
    Mais il m’a mise au courant, comme il convient pour une connaissance qui conserve une grande estime pour toi.
    Cette fois, Eugénie pâlit en entendant ces mots. Trois coups contre la porte lui imposèrent le silence. Une jeune employée vint poser un plateau sur la table entre elles.
    — Merci, dit l’hôtesse.
    Elle versa la boisson chaude dans les tasses, prit la soucoupe dans sa main gauche, la tasse avec la droite. Elle ressemblait à une lady sur une peinture anglaise de la fin du siècle dernier. «Pourtant, songea la visiteuse, elle dirige une vulgaire maison de chambres. »

    — J’espère que tu es complètement remise de ton opération, dit-elle encore.
    — De l’opération, oui. Mais divers symptômes me font croire que je serai morte avant la fin de l’année. Le cancer.
    Sa sensation d’épuisement allait croissant. La consultation avec le docteur Picard, pour un examen approfondi, viendrait dans quelques jours seulement. Pourtant, une absolue
    conviction,
    quant
    au
    dénouement,
    l’habitait.
    Elisabeth posa sa tasse, toute sa contenance disparue. Avec une autre personne, elle se serait levée pour la prendre dans ses bras.
    — Edouard évoquait cette horrible maladie, mais je ne voulais pas le croire. Cela me rend si malheureuse, je t’assure.
    Elle tendit la main au-dessus de la table pour prendre celle de sa belle-fille qui se raidit, s’écarta un peu pour éviter le contact. La réaction amena les larmes aux yeux de son interlocutrice.
    — Si je peux aider, dis-moi de quelle manière.
    — Si je dois partir, j’aimerais savoir auparavant ce qui s’est passé cette nuit-là. Et maintenant, toi seule peux me le dire.
    Elisabeth fronça les sourcils, ne sachant que penser.
    — Pendant la nuit du 8 au 9 mai 1897.
    Le moment de la mort de la première épouse de Thomas, Alice. D’une voix blanche, elle répondit:
    — Tu veux dire que tu te tortures encore avec cette histoire ?
    — Je veux savoir ce qui s’est passé. Toi, tu le sais.
    La voix changea de tonalité, rappela celle de la petite fille de huit ans, un peu hystérique.

    — Tu te fais du mal.
    — J’ai le droit de savoir. Tu ne me laisseras tout de même pas crever dans l’ignorance !
    Elisabeth laissa échapper un long soupir, avant de convenir :
    — Je suppose que tu as raison, tu as le droit de savoir.
    Peut-être aurais-je dû te parler il y a une dizaine d’années, pour te libérer de cette obsession morbide. Peut-être...
    Elle n’osa pas continuer, formuler l’hypothèse que le soupçon la rongeait peut-être à la façon d’un cancer. L’un pouvait-il avoir entraîné l’autre ?
    — Il y a dix ans ? murmura la visiteuse.
    Son interlocutrice hocha la tête.
    — D’abord, dit-elle, explique-moi quel scénario hante ton imagination.
    Eugénie maîtrisa difficilement son envie de hurler. Elle prononça d’une voix blanche, haletante :
    — Tu voulais l’épouser, ou au moins continuer de coucher avec lui. Mais comme je devais entrer au pensionnat, cela t’obligeait à quitter la maison.
    Elle s’arrêta, comme si le reste demeurait difficile à formuler.
    — Et alors ? insista l’hôtesse.
    — ... Tu es entrée dans sa chambre la nuit. Je t’ai vue !
    Tu as mis l’oreiller sur son visage...
    Elle mima le geste.
    — Le lendemain matin, il traînait encore sur

Weitere Kostenlose Bücher