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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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l’automne. Chaque fois que vos travailleurs termineront une tâche, vous les mettrez dehors.
    Fulgence grimaça devant la cruauté de l’exercice. Quand un lot de vêtements serait complété, il devrait réduire le personnel. En septembre, il ne resterait plus personne. Et tout au long de l’été, il aurait l’impression de mourir lentement, comme si son sang se retirait de son corps.

    — Je vais mettre tout de suite un agent sur la vente du terrain et des installations, continua le propriétaire. À la fin de l’été, vous pourrez revenir travailler au magasin. Vous agirez comme chef de rayon.
    — Chef de rayon...
    Le ton désespéré témoignait de son désarroi.
    — Ne le prenez pas mal, dit Edouard d’une voix un peu exaspérée. Vous gagnerez tout autant que maintenant, au total. En plus d’un salaire, vous toucherez une part des profits.
    Si c’était vrai, cela prouvait seulement combien il touchait peu comme
    directeur
    des
    ateliers.
    Et
    bien
    sûr,
    les
    profits déclinants au fil des ans l’avaient empêché de demander la moindre augmentation.
    — En septembre, vous prendrez le rayon des produits pour fumeurs, mais très vite, ceux des vêtements pour hommes et des meubles se libéreront. A Noël, vous dirigerez le rayon le plus rentable du magasin, si c’est votre choix.
    Les paroles touchaient à peine l’oreille du pauvre homme.
    — Vous allez tout de même lire soigneusement mon plan de redressement, insista-t-il. Je suis sûr que ma proposition est réaliste.
    Son patron demeura interdit, puis il essaya de se faire très clair :
    — Vous savez, Fulgence, je vous fais cette offre parce que vous avez été un employé fidèle pendant plus de trente ans, un collaborateur précieux pour mon père...
    L’homme enregistra que le fils ne portait pas le même jugement.
    — Ces postes que je viens de faire miroiter devant vous sont très convoités. Des vendeurs d’expérience comptent les obtenir. Mais je veux bien vous en réserver un, même si cela fait des vagues à l’interne. Si toutefois, vous préférez tenter votre chance ailleurs, faites-le-moi savoir très vite.
    Après tout, vous avez une longue expérience de direction d’un atelier. Sans doute trouverez-vous un nouvel emploi.
    L’homme se raidit sous la menace à peine voilée. Son interlocuteur avait raison : son expérience lui permettait de faire fonctionner une petite entreprise, ou un service. Mais la seule pensée d’un pareil changement de routine l’accablait. Au sortir
    de
    l’Académie
    commerciale
    des
    Frères
    des
    écoles chrétiennes, son premier emploi lui était venu de Thomas Picard. Aller frapper à la porte d’un nouvel entrepreneur pour lui offrir ses services lui paraissait au-dessus de ses forces.
    — Non, non, monsieur, plaida-t-il très vite. J’accepte votre offre tellement généreuse.
    La main glaciale sur son cœur se resserra brutalement.
    Sans y penser, il frotta son bras gauche de sa main droite.
    L’entrevue se terminait. Le visiteur eut envie de demander de récupérer son plan de redressement, mais n’osa pas.
    — Si nous abordions un sujet plus gai, commença Edouard en se servant un cognac à son tour. Votre garçon trouve-t-il son expérience positive ?
    — Les deux ou trois premiers jours, ses muscles paraissaient tout raides, mais maintenant tout rentre dans l’ordre.
    — A son âge, moi aussi, j’ai travaillé au service de livraison. Bien sûr, cela change un peu des études, mais en même temps, c’est une bonne école. C’était en 1907.
    Certains jours, la fuite du temps lui donnait un véritable vertige.
    — Je me souviens de votre présence, tous les étés, dit le visiteur, même si j’étais déjà chef des ateliers, dans ce temps-là.
    Edouard craignit un instant de le voir revenir à son plaidoyer larmoyant, aussi il s’empressa d’ajouter :
    — Le chef du service me dit le plus grand bien de Jacques. Il est robuste, il s’entend bien avec le reste du personnel. Ce n’est pas facile pour un étudiant comme lui.
    Parmi tous ces hommes, il se trouvera toujours des gros bras désireux de le tester.
    — Oh ! Sa force lui vient sans doute de sa mère.
    Fulgence s’exprimait comme si Thérèse et lui étaient les parents naturels du garçon. Edouard ne s’y trompait pas.
    Un bref instant, la frêle silhouette d’Eugénie passa dans l’esprit du marchand. Si Jacques tenait sa constitution d’un membre de la famille de sa mère, il fallait

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