Eugénie et l'enfant retrouvé
père. Tu pourras jouer au fils unique pendant quelques semaines.
Cette façon de mettre les choses en perspective ramena un franc sourire sur son visage.
— Bon, maintenant, allons-y, sinon Antoine fera tout le trajet à pied.
Bientôt, l’homme démarrait la voiture afin de se rendre à la gare. Son aîné, dans le siège du passager, devait tenir sa valise sur ses genoux. Les trois autres enfants logeaient plutôt confortablement à l’arrière. Arrivés à destination, tout le monde voulut se rendre près du quai. La lenteur à quitter la maison réduisit le temps d’attente. Quand le contrôleur lança le All Aboard, Fernand tendit la main à Antoine en disant :
— Tu sais, tu peux revenir à n’importe quel moment. Tu ne dois rien à ce cultivateur.
— Je sais, si je ne m’amuse plus, je reviens.
— Exactement. Garde ce sentiment en tête. Tu n’as rien à prouver, à personne.
Après une poignée de main bien virile, le garçon répéta le rituel avec son cadet, mais sa sœur eut droit à une bise.
Il se montra bien embarrassé devant Claire. Il limita les épanchements à leur strict minimum :
— Salut.
— Bon été.
— Tu reviendras nous voir.
— Peut-être.
Un peu plus, et ils se parlaient en morse. Malgré les apparences, ils s’entendaient fort bien tous les deux. Puis, l’aîné monta dans le wagon.
— N’oublie pas de descendre au bon endroit, recommanda le père, sinon tu vas te retrouver à Moncton.
— Dans ce cas, j’irai voir la mer. Je ne serai pas bien loin.
L’homme se réjouit de le voir si assuré. Si son trajet dans la vie devait être un peu mouvementé, au moins il l’accomplirait avec une certaine sérénité. Revenu près de la voiture, Charles déclara vouloir s’asseoir devant, pour mieux voir.
Les deux filles ne protestèrent pas : seules à l’arrière, elles prendraient leurs aises sur la banquette pour un long trajet.
*****
Couvrir une distance d’un peu plus de soixante milles les occupa tout le reste de la matinée. Le gouvernement provincial poursuivait une politique de « bons chemins »
afin de favoriser les échanges et le tourisme. Aussi, la route longeant le fleuve était en bon état, bien que très poussiéreuse. La voiture soulevait un nuage brunâtre derrière elle.
Puis, ils arrivèrent à Trois-Rivières.
— Ça sent mauvais, remarqua Charles à haute voix.
Si Claire reçut le commentaire comme une attaque personnelle, elle n’en laissa rien paraître.
*****
— Ce sont les usines à papier, proposa-t-elle en guise d’explication.
— Le papier ne pue pas autant.
L’atmosphère empestait vraiment, comme si la ville se dressait sur une colline d’œufs pourris. La chaleur ambiante empêchait toutefois de relever les glaces de l’automobile.
— Pour réduire le bois en pâte, expliqua Fernand, ils utilisent de l’acide. Le procédé apporte ce petit désagrément.
— On finit par s’y habituer, plaida enfin Claire, soudainement inquiète de voir son amie rebrousser chemin.
Ensuite, elle guida le conducteur dans les rues de la petite ville, pour l’amener au sommet d’un petit plateau où se regroupaient une partie des élites de la ville. Les Tétreault habitaient une jolie maison en brique. Les roues de la voiture ne s’étaient pas encore immobilisées quand une femme sortit sur la galerie en s’essuyant les mains sur son tablier.
— Voilà maman ! s’écria la gamine.
Sauter de la voiture pour s’élancer dans ses bras prit une seconde. En descendant, Fernand suivit le regard de sa fille, y découvrit une certaine envie. Ce genre d’élan, sans aucune retenue, lui demeurait inconnu.
L’homme se pencha sur le coffre du véhicule pour prendre les plus grosses des trois valises et remettre la dernière à Charles. Lorsqu’il rejoignit la maîtresse des lieux, il les posa pour tendre la main en disant :
— Je suis heureux de vous revoir, et je tiens à vous remercier encore pour votre générosité.
— Oh ! Mais cela nous fait vraiment plaisir de recevoir votre fille.
Béatrice s’avançait, un peu rougissante. La femme prit son visage entre ses deux mains pour continuer :
— Alors, ma belle, tu seras ici chez toi.
Des bises soulignèrent cet accueil, puis elle s’intéressa à Charles. Une fois les salutations terminées, l’hôtesse continua à l’intention de Fernand:
— Entrez tous. Je finissais de préparer le dîner. Nous passons à table tout de suite.
— Je ne veux pas
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