Eugénie et l'enfant retrouvé
prit
un
instant.
Jacques
émit
un
petit
sifflement
admiratif en découvrant des dizaines de chemises.
Machinalement, il prit la première et trouva des actes datés des années 1890.
— Non, cela ne va pas. Le contrat a été signé après ma conception, au plus tard quelques mois après ma naissance.
Cela réduisait les paramètres de sa recherche à des dimensions raisonnables. Il chercha les documents relatifs à l’été 1908. Parcourir la première page suffisait, l’objet du contrat figurait dans l’amorce du texte. Dans les minutes suivantes, le garçon prit connaissance avec un intérêt croissant de toutes les affaires du marchand: achat de produits, contrats de construction ou de rénovation de ses édifices, achat et vente de terrains. Certains concernaient les ateliers de confection.
—J’appartiens à ce monde-là, songea-t-il avec frustration, celui des notables de cette ville.
Il en arriva à six mois après sa naissance, sans rien découvrir en lien avec une adoption. A l’époque, les Létourneau avaient reçu deux chèques pour couvrir les frais d’entretien d’un enfant. L’entente existait donc déjà.
— Dans ce cas, mon père naturel a signé le document, grommela-t-il en rangeant les chemises à leur place.
Jacques venait tout juste de refermer le tiroir et de se relever, pensif, quand trois petits coups contre la porte se firent entendre. Pendant un instant, son visage montra des signes de panique.
— Oui, qu’est-ce que c’est? réussit-il à articuler d’une voix blanche.
Une main féminine ouvrit la porte complètement, Gladys Murphy apparut.
— Je pensais trouver monsieur Dupire.
— ... Je suis désolé de vous décevoir, ce n’est que moi.
Naturellement, il retrouvait son sourire charmeur avec une jolie femme. L’infirmière rit franchement.
— Cela ne vous ressemble pas, cette réponse : « Ce n’est que moi » ! Jamais je ne vous aurais cru si modeste, monsieur Létourneau.
— Et pourtant, le patron vient de me rappeler mon statut de secrétaire.
— Ah ! C’est certainement un état bien misérable.
Ses cheveux roux, ses taches de rousseur sur le nez et ses yeux verts la rendaient séduisante. Le garçon comprit toutefois que toutes ses armes de Casanova de banlieue se briseraient contre elle. Il cessa son jeu et expliqua :
— Monsieur Dupire est sorti. J’ai profité de l’occasion pour venir consulter des documents.
— Alors, je tenterai de lui parler un peu plus tard.
Elle tourna simplement les talons pour se diriger vers la cuisine.
*****
Dans le tramway, pour rentrer à la maison, Jacques Létourneau réfléchissait. Comme il ne possédait aucun indice sur l’identité de son père naturel, il lui restait un seul choix: ouvrir chacun des tiroirs et voir le sujet de chacun des actes signés en 1908-1909.
— Mais il y en aura des centaines !
L’ouvrier en bleu de travail debout près de lui le dévisagea avec
curiosité.
Le
stagiaire
se
renfrogna
un
peu
pendant le reste du trajet. A la maison, il trouva sa mère debout devant le gros poêle Bélanger.
— Nous mangerons dans une demi-heure environ, dit-elle.
Le garçon hocha la tête. Il s’apprêtait à monter dans sa chambre quand elle ajouta :
— Ce travail chez le notaire, cela en vaut la peine ?
— Je me familiarise avec mon futur métier.
— L’été dernier, tu gagnais plus.
— Veux-tu me voir jouer au déménageur toute ma vie ?
Dans ce cas, me faire apprendre le latin ne servait à rien.
Tu aurais pu me retirer de l’école à douze ans et me placer dans un atelier.
L’impatience dans le ton heurta la grosse femme.
— Nous avons tout fait pour te permettre de faire des études. Mais là, chaque sou compte.
— De mon côté, j’essaie de me donner les meilleures chances de réussir, plaida-t-il, cette fois plus conciliant.
Thérèse ne pouvait mesurer la pertinence de sa présence dans une étude de notaire pour cette carrière future. Pourtant, le voir dans la maison de Dupire semblait si étrange, compte tenu du rôle du père du notaire dans le processus d’adoption.
— Après le souper, j’aimerais te parler seule à seul.
— Ce sera difficile, avec un pensionnaire dans le salon, et un autre qui semble passer ses soirées dans le couloir du haut pour m’empêcher de lire...
La mère se priva de lui rappeler pourquoi ces étrangers vivaient dans la maison. Elle devait toutefois convenir que leur intimité en
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