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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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son état. La résignation accomplissait son œuvre. Ou alors, elle tenait à présenter cette image sereine devant l’inéluctable, à la façon
    d’une
    bonne
    chrétienne.
    Elle
    avait
    affiché
    sa rigueur morale depuis vingt ans. Déjà enfant, elle avait vu sa mère s’absorber dans des lectures sur la «bonne mort». Comment ne pas s’en inspirer?
    Fernand n’arrivait pas à cerner exactement son attitude.
    — Je suis profondément désolé, dit-il, les deux mains ouvertes devant lui, les paumes tournées vers le haut.
    — Pour une fois, je partage absolument ton avis. Je me désole sur mon sort au moins autant que toi.
    Elle retrouvait son ironie grinçante. Puis la douceur, la résignation revinrent sur son visage pour demander encore :
    — Tu vas t’adresser à l’ordre de Victoria ? J’aurais beaucoup de mal à me faire à une autre infirmière. Nous avons établi une certaine... intimité, l’automne dernier.

    — Oui, je m’en occuperai. Mais il se peut bien que mademoiselle Murphy ait un autre engagement en ce moment.
    — Tu dois insister pour qu’elle se rende disponible. Je pourrai payer moi-même, tu sais. Je dispose de certains moyens.
    Cette fois, l’ancienne Eugénie, celle qui exigeait, parfois en écorchant les sentiments des autres, revenait à la surface.
    — Je m’en occuperai, répéta son mari.
    Puis, elle abandonna le sujet, soucieuse de retrouver sa douceur des derniers mois, attentive de nouveau à l’existence de ses semblables.
    — Ce bruit de machine à écrire que j’entends... Il s’agit de ton nouveau stagiaire ?
    — Oui, le jeune Létourneau. Je me demande si tu le reconnaîtras. Tu me disais ne pas l’avoir vu depuis plus de dix ans.
    — Je vais m’arrêter en passant devant son petit réduit.
    Tu demanderas à Gloria de me monter quelque chose de léger, à midi. Je n’ai aucun appétit, aujourd’hui.
    Pour se lever, elle s’appuya sur la table. De son pas hésitant et silencieux, elle se dirigea vers la petite pièce située près de la porte d’entrée. Elle resta un moment dans l’embrasure avant qu’il ne réalise sa présence dans un sursaut.
    — Oh ! Je ne vous avais pas entendue, madame. Bonjour.
    — Je me déplace comme une souris, monsieur Létourneau.
    Elle le contemplait de ses grands yeux bleus. Ces traits lui paraissaient familiers. Bien sûr, elle l’avait croisé une bonne vingtaine de fois, mais c’était des années plus tôt.
    — Je suis enchanté de vous rencontrer, dit-il en se levant pour venir lui serrer la main.

    — Vous ne me reconnaissez pas, je pense.
    — Vous êtes madame Dupire... La fille de Thomas Picard.
    — Vous savez qui je suis, mais vous ne me reconnaissez pas. Ce n’est pas un reproche, vous savez. Comme je me vois tous les jours dans un miroir, je ne mesure pas exactement combien j’ai changé. Mais pour les autres...
    La remarque ne s’adressait pas vraiment à son interlocuteur.
    Elle se parlait à elle-même, une habitude cultivée au cours des derniers mois.
    — Je vais vous laisser à votre travail, se reprit-elle, mais nous nous reverrons certainement au cours des prochains jours.
    Dans son bureau, Fernand s’était approché de la porte pour entendre la conversation. Alors qu’Eugénie montait l’escalier, il revint à sa place pour décrocher le téléphone.
    Une longue tractation avec l’ordre de Victoria l’attendait.

    *****
    Après deux jours passés dans sa chambre sans en sortir, le 27 juin, Eugénie trouva la force de descendre pour le repas de midi. Le notaire avait finalement réussi à détourner Gladys Murphy de son affectation première pour la ramener rue Scott. Elle suivait maintenant sa patronne comme une ombre, attentive à ses besoins. Au premier coup d’œil à la jeune femme, elle avait compris la portée de son mandat: l’accompagner jusqu’à la tombe.
    À l’arrivée des deux nouvelles venues dans la salle à manger, Jacques Létourneau se leva pour les saluer.
    — Mon mari ne vous fait pas travailler trop fort, j’espère.
    — Non, pas du tout, répondit le garçon en jetant un œil vers le notaire. J’ai surtout l’occasion d’apprendre beaucoup.
    Le premier contact avec son employeur avait été un peu difficile. Il essayait de faire amende honorable.
    — Fernand est né dans le notariat, littéralement. Son premier mot a sans doute été «contrat».
    Si l’homme se sentit égratigné par la remarque, il n’en laissa rien paraître. Jacques y vit

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