Eugénie et l'enfant retrouvé
quel tribunal jugera que papa a expié le péché de sa fille en subvenant aux besoins de Jacques jusqu’à dix-huit ans. Cesse de t’inquiéter, ton héritage est en sécurité. Comme je suis la pécheresse dans cette affaire, j’utiliserai une petite part du mien pour l’aider.
Edouard se sentit soulagé. Trop de personnes avaient profité de ses ressources, récemment.
— Que veux-tu dire ?
— Pendant des années, j’ai retiré ma part des profits du magasin, sans en dépenser plus du cinquième. Mes économies serviront à lui payer une jolie chambre dans une pension confortable, une toute petite allocation mensuelle pour ses dépenses, et ses frais de scolarité.
— Toi non plus, tu ne lui dois rien. Il n’a qu’à aller au Royaume-Uni chercher son père.
La colère lui avait fait élever la voix. Eugénie plissa le front. Dernièrement, elle n’aimait que les murmures.
— Tu sais, je pense qu’il le fera un jour. Et ça aussi, je le comprends. Mais tu ignores la meilleure. Il a jeté son dévolu sur la pension d’Elisabeth. Je dois bien être le seul être humain sur cette terre à ne pas succomber au charme de notre préceptrice.
— Chez Elisabeth ?
Sa sœur le contempla un moment, un sourire ironique sur les lèvres. Edouard paraissait jaloux, tout d’un coup, comme si la présence de ce bellâtre dans la maison de sa belle-mère risquait de lui faire perdre un peu de son amour.
— Rien ne t’oblige à faire cela, répéta-t-il.
— Je sais, c’est la beauté de l’affaire, tu ne trouves pas ?
J’ai été forcée de l’abandonner, et maintenant la vie m’offre le luxe de choisir de l’aider. Une toute petite revanche dont je compte profiter.
Elle marqua une pause, puis demanda abruptement :
— Tu ne manques pas de voir ton fils régulièrement, j’espère?
Ces derniers jours, elle se passionnait pour le sort des enfants abandonnés.
Chapitre 30
Depuis juin, Thalie se rendait chez les Dupire une fois toutes les deux semaines. Elle s’en tenait à sa promesse, essayer de rendre supportable l’inconfort croissant causé par un corps en pleine débandade. Début septembre, la médication devait aussi limiter la douleur.
— Arrivez-vous toujours à descendre pour vous joindre aux repas de la famille ? demanda-t-elle en serrant une main de la malade dans les deux siennes.
— Quand ma fille est retournée au pensionnat, j’ai cessé.
D’un côté, l’effort me laisse totalement épuisée, de l’autre, imposer aux garçons de passer une heure à me contempler les déprime.
Pour exprimer sa compassion, Thalie esquissa une caresse du poignet. La malade ne se dérobait plus à ces contacts. Au contraire, par de légères pressions des doigts, elle exprimait sa reconnaissance.
— Remarquez, continua-t-elle, je ne peux pas dire que je les blâme pour cela. J’ai demandé à Gladys de masquer le miroir de la salle de bain.
La peau du visage paraissait se tendre sur un crâne petit, délicat. Les cheveux perdaient tout leur éclat, pour ressembler à une filasse d’un jaune malsain. Du bout des doigts, Thalie avait repéré sans mal une masse à la hauteur du foie.
Le cancer se généralisait à tout l’organisme.
— La douleur demeure-t-elle supportable ?
— C’est là tout mon dilemme. Un peu plus de morphine calme le mal, mais dans ce cas, je ne réalise même plus que je suis encore vivante.
Le sourire était pitoyable. Le temps lui était compté, le passer dans un état de semi-conscience ressemblait au vol de la denrée la plus rare à sa disposition.
— Quand vous serez prête, n’hésitez pas à demander à Gladys, dit le médecin. Elle pourra augmenter le nombre d’injections.
La phrase se révélait ambiguë à souhait. Une plus grande dose de morphine, c’était le moyen de s’éteindre en douceur.
Eugénie cligna des yeux pour dégager les larmes à leur commissure.
— Je sais. Elle a la main très légère.
— Je viendrai vous voir au début de la semaine prochaine.
— Vous viendrez plus souvent. J’en déduis qu’il me reste peu de temps.
— Votre corps s’épuise.
La pauvre femme ferma les yeux, hocha lentement la tête. — Mon voyage a été si court, et j’en ai gaspillé la majeure partie.
De pareils moments rappelaient à Thalie l’importance de mener son existence sans accumuler un bagage de regrets.
— Je dois vous laisser, maintenant.
— C’est vrai, vous devez avoir tout un peloton de femmes enceintes
Weitere Kostenlose Bücher