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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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livrer à de grandes promenades...
    Eugénie ne savait pas où elles le conduisaient, mais la destination devait être bien agréable. Elle garda le silence un moment, puis rugit :
    — Son air satisfait, je le lui effacerais à grands coups de poêle à frire !
    Edouard la contempla un long moment. Combien elle lui rappelait sa mère Alice, confinée dans une chambre malodorante, consumée par la rage. Ces deux femmes, la mère et la fille, ne se contentaient pas d’être malheureuses.
    Elles se consacraient à supprimer toute joie autour d’elles.
    Le mouvement d’humeur fut suivi d’une longue pause.
    Tous les deux terminèrent le plat principal. Un dessert occupant encore le chariot, l’hôte fit le service.
    — Veux-tu que je te serve un café ?
    Elle acquiesça. Afin de ne pas avoir à s’activer près du comptoir, il en avait préparé dès le matin et l’avait conservé dans une bouteille Thermos. Pendant qu’il avait les yeux baissés, elle admit :
    — Je ne devrais pas m’énerver de cette façon. Au fond, je ne désire qu’une chose, ne plus l’avoir dans les jambes.
    Alors, que Fernand se trouve une putain pour supporter son gros corps sur elle, ou plusieurs, cela ne me regarde pas vraiment. Il a les moyens de se les payer.
    Des témoins se seraient montrés abasourdis de la voir utiliser un langage si ordurier. Avec son confesseur, ou devant les rares voisines autorisées à monter dans son petit boudoir, elle incarnait la plus grande correction.

    — Tu vois, continua-t-elle, quand je lui ai dit désirer venir ici, il a tout de suite proposé de rester à la maison, pour nous laisser échanger en toute intimité. Mais si j’allais dans la pièce à côté pour lui téléphoner, penses-tu que le salaud répondrait?
    Les
    enfants
    sont
    déjà
    à
    Saint-Michel,
    alors il doit en profiter.
    — Ne le fais pas.
    Devant le regard interrogateur de sa sœur, Edouard précisa :
    — Appeler à la maison. Ne le fais pas.
    — Oh ! Bien sûr, entre mâles, vous vous serrez les coudes.
    — Ce n’est pas cela, je t’assure. Tu ne l’as jamais caché, tu ne veux plus de lui... au lit, précisa l’hôte en baissant la voix. Tant mieux pour toi s’il trouve ailleurs de quoi combler ses besoins. Ta vie domestique se déroule sans accroc, c’est déjà autant de gagné.
    Celle d’Edouard avait présenté l’allure d’un champ de bataille, au cours de la dernière année. Il ajouta après une pause, un peu mal à l’aise :
    — A moins bien sûr que tu préfères utiliser un endroit comme ici afin de... jouir de ta liberté.
    Depuis des années, leurs échanges se déroulaient en présence de témoins. Ce premier véritable tête-à-tête depuis qu’elle avait quitté la maison paternelle prenait une allure étrange. Lorsqu’Eugénie comprit le véritable sens des dernières paroles, le rouge lui monta aux joues.
    — Tu te souviens, cette liberté-là, je me la suis accordée une fois seulement. Je n’exagère pas en disant que cela a gâché ma vie. Jamais je ne céderai de nouveau à un homme, mon mari ou un autre. Plutôt mourir.
    Cette mauvaise expérience, ils l’évoquaient pour la première fois depuis l’automne 1908. Lentement, Edouard hocha la tête. Sa sœur était passée de ses rêveries d’adolescente naïve à une grossesse susceptible de la mettre à tout jamais au ban de la société. Marquée au fer rouge à ce moment, jamais elle ne s’engagerait dans une aventure illicite.
    Quant à l’amour conjugal, par dépit à l’égard d’un conjoint méprisé, elle y avait renoncé.
    — Dans ce cas, continua son frère, que Fernand retrouve un peu de sa bonne humeur allégera le climat de la maison.
    Cela compte un peu, dans le confort. Si Evelyne avait eu la sagesse de s’offrir cette même satisfaction, je n’en serais pas là.
    Eugénie préféra serrer les dents plutôt que de se mettre à hurler. Elle souhaitait se délecter de voir son mari aussi malheureux qu’elle. Cela lui semblait une juste punition pour lui avoir offert ce mauvais mariage, en 1914.
    Pendant une heure encore, leur conversation porta sur des sujets plus légers. Quand elle s’apprêta à quitter les lieux, Edouard lui posa les deux mains sur les épaules en disant :
    — J’aimerais que tu viennes de nouveau me visiter. Après tout, nous sommes tous deux seuls, à présent.
    — Tu ne vois plus Elisabeth ?
    — Pour contempler sur son visage un reproche toujours présent pour le fiasco de mon

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