Eugénie et l'enfant retrouvé
Comme vous pouvez le constater sur le diplôme affiché là, sur le mur.
La visiteuse plissait les yeux afin de bien distinguer l’écriture sur le parchemin.
— Votre frère a été clerc dans l’étude de mon mari, continua-t-elle.
— Vous avez raison.
Un instant, Thalie faillit lui dire que son temps était trop précieux pour échanger des renseignements biographiques.
Elle se retint, comprenant que l’échange d’informations très intimes nécessitait parfois ce genre de préambule.
— C’était un gentil garçon, très bien élevé, commenta encore la patiente.
Puis, de but en blanc, elle confia :
— Mes règles sont très douloureuses, avec des pertes de sang importantes.
— Le mieux est de passer à côté. Je vais vous examiner.
Une toile accrochée à des anneaux séparait le bureau de la salle de consultation proprement dite. Et une autre permettait aux malades de se dévêtir en se dissimulant aux regards. Eugénie connaissait les usages, elle disparut un moment, puis revint vêtue de sa camisole assez longue pour couvrir ses parties honteuses. Débarrassée aussi de la ceinture, ses bas lui tomberaient bientôt sur les mollets.
— Si vous voulez vous étendre.
Le fait de se trouver dans cette tenue lui enlevait toute son arrogance, un peu comme un chevalier devenant pusillanime sans son armure. Etendue sur le dos, les joues roses de gêne, elle ferma les yeux à demi en sentant les mains sur son bas-ventre.
— Cette douleur lors de vos règles, c’est nouveau ?
— Non, depuis aussi loin que je me souvienne... Je prends des aspirines, mais cela ne change pas grand-chose.
— Oh ! Cela change certainement une chose : le flot sanguin. Vos saignements importants tiennent peut-être uniquement à cela.
— Caron ne m’a jamais dit...
Elle s’arrêta, afin de ne pas commettre une injustice, puis se reprit :
— Mais si je ne prends rien, la douleur devient insupportable.
— Malheureusement, aucun médicament n’existe pour soulager cette condition.
— Vous voulez dire que cela aussi relève de la malédiction divine.
Thalie palpait le ventre pour reconnaître le contour des différents organes. Comme la visiteuse était très maigre, cela ne posait aucune difficulté.
— Je ne comprends pas votre allusion à une malédiction, dit-elle.
— Dans la Bible, le «Tu enfanteras dans la douleur».
Cela comprend l’accouchement proprement dit, et tout ce qu’il y a autour,
je suppose... Il
n’a pas lésiné,
en nous
punissant toutes pour le péché d’une seule. Les descendantes d’Eve ont eu un sort peu enviable.
La visiteuse frôlait le sacrilège. Selon le dogme, Dieu s’avérait infiniment juste. Mettre cela en cause horrifierait son confesseur. Le médecin préféra ne pas commenter.
— Vous avez eu quatre enfants, je pense.
— Non, trois !
La véhémence de la protestation surprit la praticienne.
Même si elle se rappelait la petite note laconique du docteur Hamelin au moment du « premier » accouchement - « Elle a enfanté déjà » -, elle n’insista pas. Son travail n’exigeait pas qu’elle sache tout.
— Pardon, je dois confondre avec un autre dossier, murmura-t-elle. Il serait important que je sache si vos règles sont régulières. Vous êtes trop jeune pour que ce soit déjà la ménopause.
Devant les sourcils levés de sa cliente, elle eut envie de se reprendre en parlant du retour d’âge. Mais elle se rendit bien vite compte que la difficulté ne tenait pas au vocabulaire utilisé.
— Je ne peux tout de même pas noter cela dans mon journal personnel.
— Vous devriez. Le mieux serait de prendre un livret de rendez-vous, de noter tous les symptômes en fonction du jour, et de revenir me voir assez vite. Diverses maladies de l’utérus ou des ovaires peuvent entraîner une hémorragie importante.
En disant cela, du bout des doigts, elle palpait de chaque côté de l’utérus, sans percevoir de masse étrangère.
— Je ferai ce que vous dites. Mais aujourd’hui, je suis venue à cause de la douleur.
— Nous reparlerons plus tard de cela. Avez-vous remarqué une envie plus fréquente d’uriner ?
— Non.
— Des douleurs au dos, un gonflement du ventre ?
La patiente secoua la tête de gauche à droite.
— Vous sentez-vous anormalement fatiguée ?
— Je me sens toujours très fatiguée, sans énergie.
— Quand ce symptôme est-il apparu ?
L’autre souleva les épaules pour signifier son ignorance.
— Je dirais
Weitere Kostenlose Bücher