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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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    — Je m’excuse, ce ne sont pas des choses à dire à une inconnue.
    — Ce ne sont surtout pas des choses à faire à un enfant.
    Leurs regards s’accrochèrent un moment. Grave, l’homme murmura encore :
    — Que voulez-vous ? Dans notre province, on demande de posséder une licence pour conduire une voiture, mais on laisse n’importe quel abruti se reproduire.
    — Mais vous êtes là, aujourd’hui. Alors, cela a servi à quelque chose.
    — Docteur Picard, vous savez, vous êtes une gentille fille... Mais dans cette histoire, ne l’oubliez pas, j’ai eu aussi une mère. Elle a compensé un peu.
    Un moment, ils se regardèrent, satisfaits l’un de l’autre.
    Puis Louis dit encore :
    — Maintenant, considérez que j’ai épuisé le sujet de mon enfance malheureuse pour un premier rendez-vous. Pour un récit complet, vous devrez me voir encore au moins cent fois. Nous allons lire ces menus, commander au serveur qui nous surveille du coin de l’œil, et ne parler que de sujets agréables.
    Ils firent comme cela, exactement. En attendant le premier service, un verre de vin blanc à la main, il demanda :
    — Vous avez évoqué le premier mariage de votre mère.
    Vous aimiez votre père ?
    — Beaucoup, et il me le rendait bien.
    — Il est mort quand vous étiez très jeune ?
    — L’année de mes quatorze ans.
    L’évocation d’Alfred lui mettait toujours un sourire nostalgique sur les lèvres.
    — Le beau-père a été à la hauteur, après cela ?
    — Pour ma mère, certainement. En réalité, elle a eu une chance inouïe. A deux moments de sa vie, un homme s’est présenté pour lui offrir le meilleur de l’existence.
    Elle aussi attendrait au moins le centième dîner avec lui avant de révéler comment un époux homosexuel avait sauvé sa mère de la déchéance, pour disparaître assez tôt pour lui permettre de jouir avec le second de tous les avantages du mariage, comme disaient les curés sans savoir vraiment de quoi ils parlaient.
    — Si elle avait embouteillé sa chance pour la vendre, déclara son compagnon, elle pourrait se payer cet hôtel, aujourd’hui. A la place, elle possède la boutique ALFRED.
    La jeune femme afficha une telle surprise qu’il éclata de rire. Il demeura silencieux le temps que le serveur mette les salades devant eux.
    — Vous me l’avez dit, l’autre jour à votre bureau...
    — Je me suis beaucoup livrée.
    — Pas tant que cela. Je devine sans mal ce que faisait le premier époux... Mais le second?
    — Depuis quelques mois, il est ministre dans le cabinet Taschereau.
    Un peu agacée par les questions, elle souhaitait l’impressionner, le laisser bouche bée.
    — Pas procureur général, tout de même ? dit-il en écarquillant les yeux.
    — ... Non. A1 Agriculture.
    — Cela le rend certainement respectable, je n’en doute pas.
    L’ironie dans la voix intrigua sa compagne au plus haut point. Cet homme se révélait totalement insaisissable. Ses manières, sa façon de s’exprimer, ses ressources - juste la voiture le plaçait dans les dix pour cent les plus nantis de la population - cadraient mal avec un emploi de camionneur.
    — Je pense que je vous ai assez interrogée pour aujourd’hui, dit-il, un peu moqueur.
    — Je pense aussi.
    — En même temps, cela montre combien vous m’intéressez.
    — Vous vous intéressez surtout à ma famille, alors que déjà, nous avons fait de la vôtre un sujet interdit.
    Il hocha la tête, se concentra un moment sur la salade.
    Puis il confessa :
    — En réalité, je pense que vous m’intimidez.
    — Moi?
    Elle soulevait les sourcils, à la fois surprise et amusée.
    — Vous êtes médecin.
    — Oh ! Ça, c’est mon métier, tout simplement.
    Louis fit un geste de la tête, comme pour dire «Tout de même, ne me charriez pas».
    — Puis vous êtes diablement jolie.

    Cette fois, la jeune femme se concentra elle aussi sur son repas. D’une complexion plus pâle, elle aurait rougi.
    — Ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant.
    — La rumeur n’est pas venue à mes oreilles.
    — Seigneur! La rumeur n’est pas venue à ses oreilles.
    Sur les derniers mots, son compagnon avait tourné la tête vers un couple d’Américains assis à la table voisine. Comme l’homme formulait un « What?» intrigué, il dit en anglais:
    — Mon amie me dit ne pas être au courant qu’elle est jolie.
    L’inconnu accepta de jouer le jeu, il regarda Thalie un long moment puis déclara, s’exprimant

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