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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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son verre de bière à ras bord, puis en vida la moitié pour éviter de voir la mousse déborder.
    Jacques contempla le visage émacié, les traits tirés. Le cou rappelait celui d’un poulet, par la taille et la texture. Le col de toutes les chemises, même les plus petites, finissait par paraître trop grand pour lui.
    — Ces lettres... Elles étaient toutes du même type?
    — Certaines se montraient plus directes en annonçant un taux d’intérêt de trente pour cent dès la première ligne.
    Dans ces cas, je suppose que l’on peut parler de requins honnêtes. Celles que tu viens de brûler venaient de requins hypocrites.

    Tous les deux se turent un long moment, puis le père quitta sa place.
    — Cela doit être assez chaud, maintenant.
    Il s’occupa de casser les œufs dans une poêle, ajouta une tomate coupée en tranches, quelques champignons, un morceau de fromage. Lui-même se serait contenté de sa boisson tellement il avait la gorge serrée. Mais Jacques se dépensait toute la journée. Pendant qu’il lui taillait une large portion pour la faire glisser dans une assiette, ce dernier osa demander :
    — Que feras-tu, finalement ?
    — Je n’ai pas le choix. La plupart des machines à coudre sont maintenant arrêtées, des personnes visitent les lieux avec des mines intéressées. Les affaires se portent bien dans la ville, dans un mois quelqu’un embauchera pour y fabriquer des souliers,
    des
    manteaux,
    n’importe
    quoi...
    Mais
    ce
    ne sera pas moi.
    Piteux, l’homme en venait à accepter le constat de sa femme. Tout le monde reconnaissait en lui l’employé docile, capable de transmettre les directives aux ouvrières. D’ailleurs, il devait bien le reconnaître, pendant trente ans, il s’était adressé à elles en disant: «Monsieur Thomas souhaite que...» Il laissa échapper un petit ricanement en songeant que dans sa vie privée, il commençait souvent une requête en disant: «Ma femme veut que... »
    — Tu vas donc accepter le poste de chef de rayon.
    — ... Je suis allé traîner chez Laliberté, chez Légaré, au syndicat, même chez Thivierge afin de voir si je ne pourrais pas être embauché chez eux. Tu comprends, je n’ai aucun désir de voir la face de ce jeune trou-du-cul tous les jours...
    Le savais-tu, Edouard est même séparé de sa femme ?
    Si ce détail de la vie privée en faisait un moins bon patron, Jacques ne voyait pas très bien pourquoi.
    — Mais je n’ai osé parler à personne, continua le père.
    Ces gens-là se rencontrent toutes les semaines. Il connaîtrait tout de suite mes démarches et saisirait le prétexte pour me jeter à la porte, en m’accusant de trahir l’entreprise.
    De nouveau, l’homme accablé s’arrêta, la tête penchée sur son assiette. Il n’avait pas encore avalé une bouchée.
    — Je ne suis pas stupide au point de ne pas savoir que le jeune Picard aimerait me voir ailleurs. Je ne sais pas trop pourquoi il me garde, tu sais. Cela doit être à cause du respect de son père pour moi. Lui m’a toujours très bien traité.
    Il ne réalisait pas avoir sous les yeux le motif de cette appréciation. Le marchand assurait à son petit-fils un cadre de vie décent.
    — À moins de quitter cette ville, je suis condamné à finir mes jours au magasin PICARD. Enfin, si ce jeune prétentieux ne décide pas de se passer de mes services.
    Fulgence emplit de nouveau son verre, pour le vider aussitôt. Bientôt, il sortirait une autre bouteille du garde-manger.

    Chapitre 10

    Pour éviter que Louis Boisvert n’entre pour demander au gardien de l’appeler ou, pire encore, vienne frapper à la porte de son appartement, Thalie se tenait à l’entrée du Château Saint-Louis dès onze heures dix. En fait, au retour de la messe, elle ne s’était pas donné la peine de monter. Dans sa robe blanche, avec des gants en dentelle, elle se demanda un moment si elle ne faisait pas trop habillée. Après tout, cet homme gagnait sa vie en conduisant un camion.
    Une petite voiture verte s’engagea dans l’allée conduisant au grand édifice, une Ford décapotable à deux places. Louis Boisvert appuya sur le frein juste devant elle et descendit pour faire le tour du véhicule en boitant, la main tendue.
    — Ce n’était pas nécessaire, dit-elle en le laissant prendre la sienne.
    — Ces mots reviennent vraiment souvent, chez vous.
    C’est une espèce de tic, n’est-ce pas ? Moi, je suis peut-être estropié, mais pas malpoli.
    Sur ces mots, il

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