Eugénie et l'enfant retrouvé
considéra cela comme une invitation à quitter la maison.
*****
Le plus grand édifice d’habitation de la ville de Québec, le Château Saint-Louis, comptait plus d’une centaine d’appartements. Après vérification, Fernand avait identifié les noms de deux personnes âgées, parmi les résidants, qui faisaient partie de sa clientèle.
Il se présenta sur les lieux un peu après neuf heures. Au gardien de faction dans le hall, il expliqua :
— Je viens voir monsieur Larose.
— Voulez-vous que je l’avertisse de votre arrivée ? demanda le planton en tendant la main vers le téléphone.
— Non, ne vous donnez pas cette peine. Je lui ai parlé il y a dix minutes.
Sans attendre, il marcha directement vers l’ascenseur, appuya sur le bouton en essayant d’adopter l’attitude la plus naturelle possible. Il monta au huitième étage, puis en redescendit deux en utilisant l’escalier de service. Quand il frappa à la porte de l’appartement, Elise ouvrit tout de suite pour le laisser entrer. Le dos contre la porte, elle demanda :
— Que penses-tu de cet... accommodement?
—Je ne sais pas. Je ne peux pas venir voir le même client toutes les semaines. Puis, imagine le vieux monsieur invoqué comme prétexte de ma présence ici passant devant le gardien à cette minute même. Il se lancerait sans doute à ma recherche pour m’empêcher de voler les tapis dans les couloirs.
Il s’arrêta de parler pour la regarder. Afin de ménager les planchers, car il avait plu ce matin-là, elle avait enlevé ses chaussures. En bas de soie, une jupe à la hauteur des genoux, un chemisier blanc, il la trouva absolument ravissante.
— Mais je suis là à te faire un discours comme un idiot.
Il se pencha en prenant soin d’enlever son chapeau, posa les lèvres sur les siennes. Elle se lova contre lui, accepta sa langue dans sa bouche, ses mains sur ses flancs.
— Tu me fais visiter ? dit-il en se redressant.
Elle lui adressa un sourire entendu, le guida dans le salon d’abord, puis dans la chambre à coucher.
— Tout de même, je me sens affreusement mal à l’aise, précisa-t-elle. Elle a beau être une excellente amie...
— Alors, imagine pour moi, qui la connais à peine. Mais comment repousser cette occasion d’un tête-à-tête ?
L’homme ouvrit son porte-documents pour en sortir une bonne bouteille de vin et la mettre sur la commode.
— J’ai même pensé lui laisser ceci pour la remercier.
Trouves-tu ça convenable ?
— Elle a une notion bien à elle des bons usages. Nous mettrons ton offrande dans la glacière tout à l’heure.
Elise passa les mains derrière son dos afin de détacher le bouton de la ceinture de sa jupe. Visiblement, elle surmonterait sans trop de mal ses hésitations. L’homme décida de lui venir en aide. Ces attaches à l’arrière des vêtements demeuraient toujours difficiles à atteindre.
*****
Les funérailles se tenant un mercredi matin, l’assistance était considérablement réduite. Des femmes et des vieillards se réunirent dans la grande église Saint-Charles-de-Limoilou.
Jacques Létourneau portait son uniforme d’étudiant. La jaquette noire
faisait
un
vêtement
de
deuil
très
convenable. A ses côtés, sa mère arborait la même couleur.
Pour une épouse, on s’attendait à ce qu’elle se limite à cette teinte pour toute une année.
La messe se déroula trop lentement au goût des proches.
Pour l’éloge funèbre, le père François commença ainsi :
— Et si le véritable courage en cette vie était tout simplement d’effectuer de son mieux son devoir d’Etat?
Sans doute qu’au gré de ses confessions, le curé avait appris à bien connaître son paroissien. Pendant une dizaine de minutes, il évoqua la personnalité discrète, les années d’un labeur incessant.
— A son fils, il laisse le souvenir d’un père attentif, dévoué. À sa femme, celui d’un époux fidèle, attentionné.
Le tout se termina par une invitation, pour chacun, à le prendre en exemple.
«Ça, jamais», songea le jeune homme. La mort lui paraissait préférable à une existence pareille, passée à s’éreinter au travail pour une femme qui ne lui rendait pas une once de son affection.
La cérémonie se termina enfin, des employés de l’entreprise de pompes funèbres poussèrent le chariot portant le cercueil jusque sur le parvis du temple, puis le firent passer dans le corbillard.
— Si vous voulez monter dans le véhicule,
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