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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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non, trois chèques tous les ans.

    Présentée comme cela, son adoption perdait sa dimension généreuse
    pour
    devenir
    une
    opération
    mercantile.
    Thérèse n’était pas du genre à accepter les soufflets sans les rendre :
    — Oh ! Si tu veux lever le nez sur cet argent, libre à toi.
    Tiens, nous prenons ces lettres, nous faisons le total, puis nous allons donner la somme au père François pour les bonnes œuvres de la paroisse. Tu te rendras vite compte que cela représente sans doute un peu moins que le coût de tes futures études universitaires.
    — ... Je ne voulais pas dire cela.
    Déjà, la peur lui nouait le ventre. La détermination de sa mère valait certainement la sienne. Son caractère en faisait un être difficile à bousculer.
    — Mais une fois réglés tes comptes avec la vie, continua-t-elle, tu devras bien vite trouver un emploi. Car ce ne sont pas deux pensionnaires qui vont régler les factures de l’Université Laval.
    Elle le fixait de ses yeux gris, un masque hostile sur son visage.
    — Je ne te reproche pas d’avoir accepté ces sommes.
    Mais je veux savoir comment cela s’est passé.
    Finalement, pour rétablir les ponts avec le garçon, elle se résolut à dire la vérité.
    — Cela a débuté d’une curieuse façon. Un beau jour, Thomas Picard a demandé à Fulgence s’il voulait adopter un enfant.
    — Pourquoi Picard ?
    — Le commerçant venait en aide à une grosse légume de la Haute-Ville, bien sûr. Un type dont la fille s’était fait engrosser par un voisin, un cousin, ou même par lui-même.
    Comment puis-je savoir ?

    — Alors pa... Fulgence lui a répondu : « Oui, contre un petit dédommagement. »
    Le mot « papa » ne passerait plus les lèvres du garçon, il utiliserait désormais son prénom pour le désigner, du moins devant Thérèse.
    — Tu tiens à présenter cela de la plus mauvaise façon, n’est-ce pas ? La vérité est plus simple. Le grand-père... ton vrai grand-père, voulait sans doute que le bâtard de sa fille ne connaisse pas la misère. Il a pris ses précautions en demandant à
    un
    voisin,
    Picard,
    de
    trouver
    une
    bonne
    famille, et de lui offrir une petite mensualité. La bonne famille, c’était nous.
    Jacques reçut le mot « bâtard » comme un coup de fouet, tellement que la suite de la confidence lui échappa en partie.
    Pourtant, Thérèse disait vrai. Il avait exigé de savoir, elle lui livrait la vérité toute crue.
    — Tu crois vraiment que nous nous sommes enrichis à tes dépens ? demanda la femme.
    — Non. Je ne voulais pas dire cela.
    Elle le dévisagea, sceptique, puis ajouta :
    — Si tu veux, je vais te donner tous les livrets de ton père, au fil des ans. Tu constateras que sitôt reçus, les chèques allaient directement dans un compte d’épargne, pour payer tes études universitaires. Ton père avait honte de recevoir cet argent. Chaque fois que Fulgence a demandé un peu plus, je devais d’abord le houspiller pendant un bon mois.
    — Toi, cela ne te gênait pas ?
    — Pourquoi ? Une fille de la Haute-Ville a sauté la clôture, son père avait de l’argent. Tu crois que la vie m’avait fait de nombreux cadeaux, jusque-là? Cette fois, j’en recevais deux: un enfant alors que ton père ne pouvait m’en faire un, et de quoi l’envoyer à l’université. J’ai accepté les deux. Je ne le regrette pas.
    De nouveau, Jacques se fit la réflexion que cette femme devait être sa véritable mère. Son esprit fonctionnait exactement comme le sien.
    — Je ne comprends pas tout à fait le rôle de Picard, ni celui de Dupire, dans cette histoire. Tu peux m’expliquer de nouveau ?
    — ... Ce que je vais te dire là, c’est une hypothèse, mais tout de même, je pense avoir raison. Picard connaissait le père de la jeune fille mise enceinte. Il a servi d’intermédiaire pour conserver l’anonymat de son ami. Tu vois, ton grand-père donnait de
    l’argent
    au
    marchand,
    qui
    le
    transmettait
    à
    Dupire, qui nous le donnait ensuite.
    — C’est bien compliqué.
    — Juste assez pour nous empêcher, Fulgence, moi ou toi, de découvrir qui est ta mère naturelle.
    L’histoire paraissait tellement invraisemblable, comme le scénario d’un roman à dix sous. Jacques demeura silencieux, les yeux fixés sur les mains noueuses de la femme. L’idée qu’elle ne soit pas l’auteure de ses jours ne lui entrait pas dans la tête. Même sa façon un peu obsessionnelle de s’occuper de lui, au fil des ans,

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