Eugénie et l'enfant retrouvé

langue latine, que plus personne ne parlait depuis des siècles, sauf à l’église. Quand Fernand se présenta dans le parloir, elle se tenait déjà dans la grande pièce, assise sur une chaise placée contre le mur. Elle se précipita dans les bras de son père, profita de son étreinte quelques secondes.
    — Je suis heureuse de te voir, papa, murmura-t-elle au troisième bouton de sa veste.
    — Moi aussi, ma grande.
    Lorsqu’elle s’éloigna de lui, la fillette tourna un visage intimidé vers sa mère.
    — Viens me faire la bise, demanda celle-ci.
    Un bref moment, leurs joues se frôlèrent, alors que les lèvres esquissaient un plissement. Le baiser contenait toute la retenue de personnes mal à l’aise ensemble.
    — Pouvons-nous aller marcher dehors, comme les fois précédentes ? demanda le père.
    La salle bruissait déjà de conversations. Même s’il ne se révélait là aucun secret, aussi longtemps que le temps le permettrait, il préférait un peu de discrétion.
    — Les cours se passent-ils bien ? demanda l’homme pendant que le trio descendait le grand escalier en façade.
    — Oui... Comme tu sais, nous ne sommes que dix-huit dans mon groupe, et ce nombre ira en diminuant au fil des ans. Nous pouvons poser des questions, la religieuse prend le temps de répondre.
    Les classes du cours primaire, chez les ursulines, lui avaient donné l’habitude de cohortes dépassant trente personnes. Plus d’intimité lui plaisait.
    — Et le latin ?
    — C’est amusant. Nous nous passons des petits mots dans cette langue.
    Fernand fut tout de suite rassuré sur ses chances de succès. Trouver plaisir à un apprentissage aussi ardu était un bon signe pour l’avenir.
    — Tu as pu te faire des amies ?
    — La première semaine a été difficile, tu sais comme je suis timide, mais maintenant, je m’entends bien avec tout le monde, et j’ai deux ou trois bonnes camarades.
    Cela aussi offrait de bons espoirs.
    — Ma
    première
    meilleure
    amie
    demeure
    Claire,
    cependant.
    Les sourires échangés dès le premier jour gardaient un effet durable, tout comme la proximité au dortoir.
    — C’est un peu comme ma sœur, ajouta-t-elle.
    Les affinités de pensionnat constituaient de drôles de fratries, comme celle-là entre une blonde potelée et une brune un peu trop mince.
    — Je suis heureux pour toi. Comme sa famille habite près de Trois-Rivières, elle ne doit pas recevoir de visite bien souvent, et bientôt ce sera pire, le mauvais temps rendra les routes impraticables. Si elle a besoin de quelque chose, tu me le feras savoir. Lors des congés, tu pourras l’inviter à la maison.
    La petite fille prit la main de son père et exerça une légère pression pour le remercier. Un long moment, ils marchèrent sous les arbres, dans les allées du parc. D’autres groupes familiaux faisaient de même. Les élèves présentaient toutes la même allure, vêtues d’une veste et d’une jupe noires et d’une blouse blanche.
    — Mes frères vont-ils bien ?
    Le dimanche précédent, les garçons un peu trop remuants avaient provoqué les froncements de sourcils des religieuses. Le père entendait les amener chacun leur tour, à compter de la semaine prochaine, afin d’épargner les saintes femmes. Ce jour-là, il préférait permettre à Eugénie de faire ses confidences dans une atmosphère sereine.
    — Antoine semble se faire aussi bien que toi au latin.
    — Il doit être tout heureux de pouvoir dire le mot
    «vache» dans cette langue.
    Et pour convaincre ses parents que ses connaissances allaient jusque-là, elle murmura :
    — Vacca.
    — Comme toi, il doit connaître quelques mots aussi.
    Charles, de son côté, se désespère de ne pas se trouver à l’école secondaire comme ses aînés. S’il persévère, je le mettrai dans la classe préparatoire du Petit Séminaire en septembre prochain.
    D’un regard jeté au-dessus de la tête de sa fille, Fernand indiqua à Eugénie que le temps était venu de se mêler un peu à la conversation.
    — Béatrice, commença-t-elle d’une voix un peu cassée, je dois te confier quelque chose.
    La fillette leva vers elle des yeux inquiets.
    — Ma grande, je ne viendrai pas te voir la semaine prochaine. Dans l’après-midi, je dois entrer à l’hôpital.
    La mère ménageait ses effets. Après une pause, elle expliqua à sa fille interloquée :
    — Je dois subir une intervention chirurgicale.
    — ... Pourquoi?

    Des larmes perlaient déjà à la