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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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feux pâlirent. Le cercle de flammes se rompit lentement. Chaque feu fut avalé par l'ultime noirceur des ténèbres. Les voix et les bruits furent effacés par le silence de l'aube. Le souffle de l'aurore poussa la souillure des fumées infectes jusqu'à nos murs. Y puant assez pour nous convaincre enfin de les quitter.
    Pour la plupart, nous allâmes nous effondrer en tremblant sur nos couches, les muscles tendus et la bouche comme empoisonnée. Quelques-uns, chancelants, tenus éveillés par la si longue crainte de la nuit, s'obstinèrent à une fausse vigilance.
    Rien n'advint ce jour-là. Les idolâtres étaient certainement aussi faibles et épuisés que nous. Mais dès le milieu du jour, la nuit à venir hanta nos cœurs et brouilla nos esprits. Nous n'en doutions pas : au crépuscule, de nouveau les idolâtres enflammeraient ce cercle maléfique qui nous fascinait. Ils chanteraient et danseraient pour convoquer leurs dieux démoniaques, martelant nos poitrines avec leurs tambours, paralysant nos pensées de leurs cris et de leurs obscénités.
     
    Lemec'h fit venir dans notre cour les hommes les plus résolus à la guerre. Il les accueillit le visage tendu par la colère. Il les contraignit à s'incliner devant l'autel fumant d'Élohim avant de leur dire :
    — Vous avez des yeux pour voir, et moi qui suis aveugle, je vois mieux que vous ! La manœuvre des idolâtres est à vos pieds et vous ne la devinez pas ? Ce soir, demain, nuit après nuit, ils vous maintiendront comme des enfants pétrifiés devant un nid de serpents. Demain encore, après-demain, nuit après nuit, ils vous empliront du vacarme de leurs tambours et des cris de leurs femmes ouvertes aux démons. Cela durera jusqu'à ce que votre sang devienne clair comme du petit-lait. Et un matin, à l'aube, vous verrez courir vers nos murs ces cents et cents d'idolâtres, hurlant, la pique levée. Aurez-vous assez de force pour tenir votre arc ? Assez de jugement pour viser les cœurs ? À quoi serviront les flèches et les lances forgées par mon fils Tubal si vos poignets sont devenus, nuit après nuit, aussi faibles que des pattes d'agnelet ?
    Les têtes s'inclinèrent, les nuques ployèrent. Lemec'h disait juste. Tous le savaient. En une nuit la peur nous avait emportés, et déjà nous sécrétions la bile amère des vaincus.
    — Je suis seul ! s'écria Lemec'h, les menaçant de son bâton. Mes mots n'empêcheront pas le peuple d'Hénoch de monter sur les remparts. De souiller sa cervelle et d'anéantir sa volonté. Je vous le dis : demeurez impuissants comme vous l'êtes, et avant la prochaine lune les idolâtres seront entre les cuisses de vos femmes et de vos filles.
    L'un des hommes, du nom d'Arkahana, connu autant pour son courage que pour sa bonté et le respect qu'il montrait à tous, s'avança, traînant une jambe, séquelle d'une partie de chasse en compagnie de Lemec'h. Au regard blanc du descendant de Caïn, il offrit son visage tordu par la honte, ses yeux brillants de larmes.
    — Lemec'h ! Lemec'h ! Tous ici, nous savons que tu dis le vrai. Mais qui nous écoute dans Hénoch ? Il n'est qu'une seule parole qui compte : la tienne. Si toi tu ne peux empêcher notre peuple de s'enivrer de sa terreur des idolâtres, comment le pourrions-nous ?
    Arkahana aussi disait le vrai.
     
    Malgré les menaces et les suppliques de Lemec'h, avant le crépuscule tous ceux d'Hénoch se retrouvèrent à rôder sous la grande muraille. Sans cesse, les uns ou les autres appelaient les guetteurs pour savoir si le soleil entrait en terre. Les feux étaient-ils déjà allumés ? Les idolâtres avaient-ils décidé d'approcher ? Leur nombre était-il toujours aussi énorme ? Les réponses venaient, identiques tout le long des remparts : pas encore, pas encore, pas encore, on ne sait pas...
    Le frais de la nuit apporta les premières langues de ténèbres. Hénoch retint son souffle. L'attente ne fut pas longue. Les guetteurs crièrent tous ensemble :
    — Voilà !
    — Cela commence !
    — Ils allument les feux !
    — On entend leurs tambours !
    À nouveau l'obscurité et la peur vainquirent la raison. Chacun se rua sur les échelles, on s'amassa sur le mur d'enceinte. Tout se passa comme la veille. Au nord, au sud, à l'est et à l'ouest, les feux trouèrent la nuit. Ils encerclèrent Hénoch de leurs flammes inquiétantes. Les paumes des idolâtres martelèrent frénétiquement les tambours tendus de peau humaine.

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