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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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avançait lentement. S'arrêtant souvent. Marchant dès le lever du soleil pour faire halte au zénith et ne plus repartir.
    Il y eut encore d'autres questions. Lemec'h assura que rien de ce qu'il avait entendu ne le surprenait. Chaque chose se passait comme il l'avait prévu. Il ajouta :
    — Ils seront là avant trois jours.
     
    Le lendemain, chacun s'affaira, le cœur plein d'appréhension. Lemec'h passa la moitié de la journée accroupi devant l'autel d'Élohim. La graisse de l'holocauste y grésillait en flammes hautes et claires, parfois aussi bleues que le ciel. Cela le réconfortait.
    Le soir, il ordonna de rentrer le reste du bétail qui paissait hors des murs. Les cornes de bélier sonnèrent l'appel. Tous ceux qui demeuraient encore à l'écart d'Hénoch accoururent. On ferma les portes. Les guetteurs se postèrent sur la plus haute muraille, arcs et carquois à portée de main.
     
    L'attente commença. La peur alourdit les poitrines et les têtes. Les gestes devinrent nerveux, les yeux fuyants. Le ciel paraissait opaque, même dans le milieu du jour. Les mots ne passaient plus les bouches qu'en chuchotements.
    L'appentis de tissage puait encore les décoctions de teinture, mais il avait tout de même fallu le transformer en silo pour le grain et le séchage du millet. J'en avais retiré ce que j'avais pu sauver de mes laines, mes peignes et mes navettes, ainsi que mon cadre à tisser. Je les avais transportés dans la pièce des femmes. Rien ne m'encourageait davantage à la patience que de croiser les fils, de laisser monter çà et là des formes de bleu ou de rouge qui me permettaient de rêver, loin de tout ce qui nous effrayait.
    Un peu avant le crépuscule, ma mère Tsilah me rejoignit. Alors que je tendais le bras pour rouler un fil mal cardé, elle saisit ma main. Elle la serra avec une force qui me fit presque gémir.
    — Mère ! Mère, qu'y a-t-il ?
    Elle s'assit sur un tabouret. La tristesse de ses yeux en cet instant, jamais je ne l'ai oubliée.
    — Nahamma, ne crois rien de ce qui franchit les lèvres de Lemec'h. Ses mots ne valent pas plus qu'un bruit de feuille dans le vent. Rien ne se passera comme il l'a annoncé.
    Ces mots n'étaient pas nouveaux dans sa bouche, mais sa voix était si basse qu'il me fallut me pencher vers elle pour bien les comprendre.
    L'anxiété que j'essayais de tenir loin de moi me serra soudain la gorge. Et aussi le doute. Le doute envers ma mère Tsilah.
    Que savait-elle ? Pourquoi semblait-elle si sûre d'elle ? Pourquoi n'allait-elle pas prévenir les autres ?
    Pourquoi ne confiait-elle qu'à moi le fond de sa pensée ?
    Devais-je dire : sa folie ?
    Car encore et encore elle se dressait contre Lemec'h.
    Encore et encore, elle voulait me persuader de me méfier de la conduite et des mots de mon père.
    Elle voulait ajouter sa bataille à la bataille générale contre les idolâtres.
    La mort de mon frère Tubal la ravageait. Sa plaie ne se refermait pas. Au contraire, elle l'empoisonnait tout entière.
    J'ouvris la bouche pour prononcer une parole d'apaisement. Ma mère lut le doute sur mon visage. Elle me ferma les lèvres de ses doigts, m'attira contre elle et me serra si fort que je sentis son cœur battre en écho du mien.
    — Écoute, Nahamma ! Écoute et garde-le pour toi, souffla-t-elle à mon oreille. Quoiqu'il arrive dans les jours qui viennent, tais les mots de la Grande-Mère Awan. Même à tes sœurs et frères. Même à Adah. Les vivants d'Hénoch mettent trop d'espoir dans la fumée bleue que Lemec'h attise sur l'autel d'Élohim. Pourtant, elle ne contient que les rêves de ton père. Or il n'est qu'une vérité. Et tu la connais. Tu la connais : toi seule seras épargnée.
    Je ne pus m'empêcher de la repousser :
    — Non ! C'est impossible. Pourquoi moi ? Moi seulement ?
    Elle me caressa la joue avec un sourire terrible.
    — Parce qu'Élohim s'est lassé de nous autres depuis longtemps. Depuis avant notre naissance.
    Je fermai les yeux, secouai la tête.
    — Tu dois l'accepter, ma fille. S'il en est une dans le pays de Nôd qui sait ce qu'Élohim attend de nous, c'est Awan, fille d'Ève et d'Adam, les premiers des vivants. Et sûrement pas ton père Lemec'h, l'assassin de Caïn et de Tubal.
    Je le vis sur ses traits : ma mère Tsilah n'était plus que certitude. Il y avait peu, les mots d'Awan l'effaraient et elle ne les comprenait pas plus que moi. Maintenant, elle se résignait au châtiment d'Élohim. À Sa

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