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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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Les chants et les obscénités résonnèrent dans le noir. Sur nos murs, des femmes commencèrent à gémir. Les gémissements devinrent des pleurs. Certains ne purent se retenir de décrire ce que nos yeux ne voyaient pas et qui pourtant dansait dans toutes les têtes.
    Puis, soudain, jaillis de nos propres ténèbres, tout près, montèrent des sons neufs. D'abord une modulation légère, délicate comme le premier souffle de l'aube. Une musique inconnue. Notre chair frissonna. Elle était différente de tout ce que nous avions déjà entendu. Les sons graves vibraient plus bas, les aigus plus hauts. Ils s'entrelaçaient plus vite. Ils possédaient une agilité inouïe. Ils faisaient songer au vol impatient des jeunes oiseaux au printemps. Pourtant, si délicats qu'ils soient, ils étaient assez puissants pour se glisser sous notre peau. Capables, en vérité, de se faire entendre malgré les battements des tambours et les vociférations des idolâtres. Malgré tout ce tumulte de bêtes sauvages qui se fracassait contre le couvercle du ciel pour nous retomber dessus.
    Cela était plus merveilleux que tout ce que nous avions déjà entendu des lèvres de mon frère Youval, et pourtant cela venait de sa bouche.
    Les flammes des idolâtres se reflétaient sur sa tunique, sur son front et ses doigts. Gracieux, il avançait sur le gros mur d'enceinte, égrenant ses sons magiques avec des petits sautillements qui faisaient danser sa chevelure sur ses épaules. L'instrument qu'il tenait entre les mains, où il jetait sa bouche comme un affamé, nous ne l'avions encore jamais vu. Il ne ressemblait en rien à son flûtiau habituel.
    De fins liens de cuir unissaient en un seul bloc une dizaine de tubes de jonc de tailles différentes, courts ou longs, larges ou étroits. La bouche de Youval bondissait d'un jonc à l'autre, si vite qu'on peinait à en suivre les mouvements. Son souffle se déchaînait. Voluptueux ou sec, doux ou furieux. Les sons ruisselaient sur nous, brisant notre fascination pour les clameurs païennes. Nous ravivant, nous purifiant de la corruption obscène crachée par les idolâtres.
     
    Les visages se déplissèrent. Les larmes séchèrent. Des sourires apparurent. Venant derrière Youval, Yaval avançait, tenant la main de notre sœur Noadia. Il s'empara de la mienne. Il m'entraîna derrière la musique. Contre mon oreille, il chuchota :
    — Sœur Nahamma, ne crois pas que cette fête soit mon idée. Quand notre père Lemec'h a entendu le nouveau flûtiau de Youval, il a tout de suite compris à quoi il serait bon. Reste avec moi, sœur bien-aimée. Ce qui va advenir sera aussi la volonté de notre père.
    Derrière nous, beaucoup de ceux qui se trouvaient amassés sur le mur commencèrent à nous suivre.
     

16
    Dans la pénombre rougeoyante attisée par les sauvages, on parvint à la porte du Nord. Il n'en était plus une, plus un, dans le peuple d'Hénoch, à pouvoir ignorer le sortilège des sons produits par Youval. Soudain, sans crier gare, il écarta les joncs de sa bouche, tournoya sur lui-même en poussant un hurlement de fauve. Le silence qui suivit fut brutal : aussitôt, le tintamarre jeté dans la nuit par les idolâtres nous frappa, douloureux telle une pluie de pierres. Ma sœur Noadia laissa échapper un gémissement.
    Youval réclama de l'eau pour adoucir sa gorge et ses lèvres. Une troupe de filles s'empressa de lui tendre des gourdes. Je n'étais pas la seule à admirer la beauté de Youval, la grâce de ses sourcils, l'arête puissante de son nez et le dessin de ses lèvres qui faisait songer aux grands oiseaux que l'on apercevait sur les pentes de la montagne Zagros.
    Il ressemblait si fort à Tubal, mon frère mort, si beau et tant aimé, qu'on aurait pu les croire jumeaux.
    Mais, seul parmi tous les hommes d'Hénoch, il paraissait fait de paix et de douceur. Nos regards se croisèrent. Il me sourit. Sa bouche prononça mon nom. Je n'entendis plus le bruit de la nuit. Ma poitrine et ma gorge brûlèrent. Sans presque m'en rendre compte, je murmurai :
    — Ô Tubal ! Ô Youval !
    Mon cœur fondait, mon corps fondait. Les mots de ma mère glissèrent dans ma pensée : « Sois prudente. Garde-toi fraîche et sans souillure. Élohim tevoit. » Qu'y avait-il de plus pur que mes souvenirs de Tubal, que la fraîcheur et la grâce de Youval ? Oh, que mon désir fut puissant en cet instant-là !
    Mais Yaval s'avança. Il se plaça entre nous. Il leva les bras pour

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