Ève
attirer l'attention de tous.
— Peuple d'Hénoch ! lança-t-il. Peuple d'Hénoch, cesse d'avoir peur !
Sa voix était aussi forte et sévère que celle de notre père Lemec'h.
— Avez-vous entendu ? Les sons de Youval vous protègent tout autant que le bronze de Tubal sur vos flèches, vos lances et vos piques. Peuple d'Hénoch, ne te laisse pas vaincre par le vacarme des idolâtres ! Ne tremble plus en entendant leurs braillements. Ne sais-tu pas chanter et danser toi-même ? Et plus purement que les sauvages, toi qui veux être sous la paume d'Élohim ?
Les mots de Yaval déclenchèrent un marmonnement étonné. Il le laissa grandir, fixant les uns et les autres, le sourire découvrant ses dents.
— La peur vous empoisonne-t-elle la raison ? cria-t-il de nouveau. Êtes-vous donc devenus des rats de nuit qui se brûlent les yeux à la moindre flammèche ? Le feu des idolâtres vous effraye, mais vous ne voulez pas allumer vos torches ? La musique de mon frère Youval ne mérite-t-elle pas autant d'exaltation que les tambours des idolâtres ?
À peine Yaval eut-il lancé ces mots que Youval porta ses tubes de jonc à ses lèvres. Les sons qui en retentirent furent les plus suaves jamais entendus. Les hanches souples, Youval dansait comme si la musique le soulevait de terre. Il s'avança parmi nous tous qui nous pressions sur la muraille. Il se glissa entre les femmes, les hommes, les filles, les enveloppant de sa magie de sons. Des mains l'effleurèrent, le caressèrent, agrippèrent sa tunique. La sarabande se forma. Les premiers rires jaillirent. Noadia noua sa main à la mienne, m'entraînant avec elle. Yaval nous rejoignit. Le chant jaillit de nos bouches :
— Ô vous qui foulez les cieux,
Vous qui dansez dans le jardin de notre Dieu-Élohim,
Écartez le mal, procurez le bien !
Que le vent du nord souffle et soit bon,
Que le vent du sud purifie la poussière sous nos pas,
Que d'est en ouest s'effacent les signes mauvais,
Les présages mauvais.
Main dans la main, nous défilions tous derrière Youval. Au bas du mur, devant la porte où étaient entassés des faisceaux de lances et de piques, jaillirent les feux des premières torches. Des hommes se jetèrent dans les ruelles pour en quérir d'autres. Les chants montaient aux lèvres, plus forts, plus nerveux :
— Que soit joyeuse notre maison,
Et populeuse,
Ô femme de l'homme,
Ô homme de la femme,
Enlacez-vous, fournisseurs des générations
Sous la paume d'Élohim.
Partout les hommes d'Hénoch accouraient, brandissant leurs flambeaux pour rejoindre la sarabande. On vit alors Youval tournoyer entre les torches, y jeter ses sons comme des étincelles.
Là-bas, depuis leur cercle de feu, depuis le vacarme de leurs tambours en peau d'homme et de leurs obscénités, certainement les idolâtres virent le grand mur d'Hénoch s'illuminer. Certainement, ils entendirent la puissance des sons de Youval autant que la force de nos chants. Plus tard, certains assurèrent que, dans le cercle de feu de nos ennemis, le silence se fit avant même que notre sarabande eût accompli le tour de la grande muraille. Cela, je ne peux le dire avec certitude. Mes mains liées à celle de Yaval, à celle de Noadia, je m'époumonais, je sautais, je courais dans les sons merveilleux que Youval semait derrière lui en une pluie de bonheur.
Qui aurait pu croire qu'Élohim, sous les rires et les chants, préparait le châtiment d'Hénoch et de mon père Lemec'h ?
Peu à peu les feux des idolâtres s'éteignirent, laissant la nuit rompre le cercle. Je ne le vis pas. Ainsi que, la veille, le tintamarre s'était poursuivi toute la nuit, nos rires, nos chants et la merveille des sons de Youval persistèrent jusqu'à l'aube. Un plaisir et un bonheur oubliés depuis trop longtemps nous enivraient. Le rire et les caresses remplaçaient les larmes et les gémissements. Pendant tout ce temps, je fus incapable de m'éloigner de Youval. L'aube n'était plus très loin quand il me demanda :
— Sœur, m'apporterais-tu du lait et de la galette, que je puisse continuer à danser et souffler ?
Je m'empressai de le satisfaire. Je me hâtai dans nos murs pour revenir avec une cruche et une galette. Quand il fut rassasié, Youval me saisit les mains. Je sentis son corps. Ses yeux, ses doigts en dirent plus que les mots qu'il prononça :
— Sœur, tu es la plus belle d'Hénoch. Et la meilleure de nous tous.
Ses lèvres brûlaient autant
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