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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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vacarme que nos souffles.
    Nous restâmes ainsi je ne sais combien de temps. Sans doute pas aussi longtemps que nous le crûmes. D'un coup, le soleil disparut dans la terre, laissant l'ombre de la nuit s'abattre sur nos épaules. Les hommes demandèrent à Lemec'h s'il fallait allumer les torches et les feux.
    — Pas encore. Laissez-les avancer.
    La pénombre s'épaissit. On ne distinguait toujours pas les colonnes des idolâtres, leurs corps et leurs visages. Mais d'instant en instant le bruit de leurs semelles enflait.
    — Ils approchent, ils approchent, dit mon père Lemec'h. Ne les entendez-vous pas ?
    — Pas aussi bien que toi. Sont-ils très près ?
    — Encore à cinq portées de flèches. Ils continuent.
    Et encore.
    — Quatre portées. Ils continuent.
    Puis Lemec'h annonça :
    — Ils s'arrêtent. Je dirais : moins de trois portées de flèche.
    D'un coup, deux, trois, dix, puis cent feux trouèrent les ténèbres. Bientôt, ils encerclèrent Hénoch d'une danse de flammes dorées.
    Lemec'h devina notre stupeur.
    — Ah, voilà ce qui vous effraie : ils ont allumé leurs feux, constata-t-il avec un calme qui nous surprit.
    — Il y en a partout. Des centaines ! Tout autour d'Hénoch !
    Lemec'h fit claquer sa langue.
    — Que craignez-vous ? Les idolâtres ont peur du noir autant que vous. Ils allument des torches et des feux. Et alors ? Aujourd'hui, ils ont marché longtemps. Ils ont faim. Ils pressent leurs femmes de cuire les graines et les racines, comme vous le ferez dans un moment. Mais pour les nuits à venir, où trouveront-ils du bois ?
     
    Lemec'h pouvait se moquer, la peur demeurait. Le cercle de feu des idolâtres nous fascinait. Il découpait la nuit telles les coulures de bronze dans la forge de Tubal. Il nous semblait qu'il pouvait soudain se resserrer et nous asphyxier. Lemec'h le comprit. Il ordonna :
    — Assez ! Ne restez pas là ! Quittez la muraille ! Vous n'en verrez pas plus cette nuit.
    Nul ne bougea. Nous étions incapables de détourner le regard des flammes qui mordaient le noir.
    Lemec'h dit :
    — Maintenant, vous pouvez allumer les feux et les torches !
    Les hommes lui répondirent :
    — Il vaut mieux qu'Hénoch reste dans l'ombre. À quoi bon se montrer aux idolâtres ? L'obscurité nous protégera mieux que des torches.
    — Ne soyez pas stupides, s'énerva Lemec'h. Croyez-vous que les idolâtres ignorent où vous êtes ? Ce qu'ils voient dans le noir, et qui brille plus encore que leurs feux, ce sont votre peur et votre couardise !
    Personne n'osa le contredire. Mais aucun d'entre nous n'alluma une seule torche.
    Plein de rage, Lemec'h gronda :
    — Ne comprenez-vous pas que les idolâtres se jouent de vous ? Toute la nuit, ils vont vous maintenir à guetter pour rien. Au jour de demain, vous ne tiendrez plus debout dans la chaleur. Alors qu'il le faudra.
    Peut-être, en cet instant, certains furent-ils sur le point de lui obéir. Ils s'immobilisèrent aussitôt : venant du sud du cercle de feu, les premiers coups des tambours résonnèrent. Les tambours du Nord répondirent. Puis ceux de l'Est et ceux de l'Ouest.
    Les coups redoublèrent. Ils roulèrent, enflèrent.
    Bientôt, ils vibrèrent dans nos poitrines. Au cœur de l'obscurité, nous étions comme prisonniers d'un chaudron. Nous devenions fous.
    Alors montèrent les voix. Des centaines de voix chantant à l'unisson.
    La terreur à la fois nous glaça et nous calcina. Tous, nous songions aux peaux des tambours sur lesquelles frappaient les paumes enragées des idolâtres. Chacune d'entre elles avait été arrachée au corps d'un ennemi abattu.
    Dans le noir, nos mains se cherchèrent et se serrèrent. Les mots et les exhortations de Lemec'h ne nous apaisaient plus.
    Là-bas, dans le cercle de feu, des cris et des éclats de rire se mêlèrent aux chants et au martèlement des tambours. Dans la nuit découpée par le cercle de flammes, poussés par la terreur, nous vîmes l'invisible. Ces mille d'idolâtres, on les vit danser, gesticuler, s'époumoner, corps contre corps, caresse contre caresse, tels des démons peuplant la terre stérile du pays de Nôd où Élohim nous confinait.
     

15
    Cette veillée frénétique dura toute la nuit. Toute la nuit, nous restâmes dans le froid et l'immobilité de l'épouvante. Dans la vision des démons des idolâtres. Enfin, les premières lueurs du jour trouèrent l'obscurité. Les cris et les chants s'amoindrirent. Les torches et les

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