Ève
Les hommes se préparent à la guerre. Les idolâtres vont se lancer à l'attaque de nos murs.
Elle repoussa durement ma main.
— Laisse-moi, laisse-moi !
— Non, écoute-moi. Notre père...
— Je me moque de notre père. Laisse-moi : Yaval m'attend.
La stupeur m'immobilisa.
— Yaval ? Avec ton fils ?
Beyouria ne m'écoutait plus. Elle s'enfuit. Son ombre disparut dans l'ombre.
Aurais-je dû la suivre ? Mais la pensée de revoir Yaval me faisait horreur...
J'entrai chez nous, me réfugiai dans la pièce des femmes. Ma mère Tsilah s'y tenait, assise sur sa couche. Celle d'Adah était aussi vide que celle de Beyouria et de Noadia. Ma mère se releva, se précipita vers moi.
— Ah, tu es là ! s'exclama-t-elle avec soulagement.
Elle saisit mes mains, en perçut le tremblement. Elle m'attira sur le seuil pour examiner mon visage. Cela lui suffit. La musique de Youval résonna, toute proche. Plus lente, presque lourde. Triste, en vérité, et sans plus rien de la grâce de la nuit.
Des sons emplis de solitude, lancés sans force, comme abandonnés. Youval devait avancer sur la grande enceinte, entouré uniquement de gamins agitant les torches. Je pouvais deviner son visage, son épuisement. Certainement, il ne dansait plus.
Les larmes me montèrent aux yeux. Ma mère me caressa les joues, ses lèvres baisèrent mon front.
— Sois forte, murmura-t-elle. Sois forte, Nahamma, ma fille. Pense à notre Grande-Mère Awan.
Je songeai à lui raconter la dispute entre Yaval et Lemec'h. Mais tout cela était si pesant ! Si effrayant ! Sans doute ma mère donnerait-elle raison à Yaval. De Beyouria, je ne dis rien non plus. Je n'avais qu'un désir : sentir encore la présence de Youval. Revoir son sourire sur moi, suivre ses sons et m'emplir de la beauté de ses traits. « Sœur, m'avait-il dit, quand je souffle dans les joncs, c'est à toi que je pense. Si ce qui vient de mon souffle est beau à entendre, c'est que ta beauté danse en moi. » Comme ses lèvres, en prononçant ces mots, brûlaient autant que les miennes !
J'allai m'allonger sur ma couche. Ma mère demeura sur le seuil. Le ciel blanchissait de plus en plus. Elle annonça :
— Je n'entends plus Youval. Ses joncs se sont tus. Lemec'h va l'avoir, sa guerre.
Presque aussitôt la corne de bélier retentit à la porte du Nord. Celle du Sud lui répondit. Des hurlements d'alerte s'élevèrent des murailles. Des cris jaillirent de partout dans Hénoch. Le souhait de mon père Lemec'h se réalisait : les idolâtres attaquaient.
Les servantes se hâtèrent auprès de ma mère. Adah apparut sur le seuil de la chambre de Lemec'h. Elle courut jusqu'à nous. On y voyait maintenant assez clair dans notre pièce. Elle s'arrêta devant la couche vide de sa fille.
— Où est Beyouria ? Où sont Beyouria et Nahman ? demanda-t-elle, l'effroi faisant trembler sa voix.
— N'était-elle pas avec toi ? s'étonna ma mère. Elle s'est levée il y a peu. Elle m'a dit qu'elle ne pouvait pas dormir. Elle voulait être près de toi avec Nahman, sachant que Lemec'h courait sur les murs d'Hénoch pour préparer la guerre et que tu étais seule.
— Mais non, non ! s'écria Adah, affolée. Elle n'est pas venue. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Où est-elle ? Où est Nahman ?
Mon cœur martelait ma poitrine. Je fus sur le point d'avouer : « Je l'ai croisée dans la ruelle. Elle allait rejoindre Yaval... », quand une énorme clameur résonna à la porte du Nord. Des milliers de gorges braillaient. La peur nous figea. Les idolâtres parviendraient-ils à enfoncer la porte ? Je pensais à Youval. Était-il à l'abri ? Les hurlements ne cessaient pas. Les servantes commencèrent à gémir. Adah s'écria soudain :
— Oh, je sais, je sais où elle est !
Elle agrippa les mains de ma mère Tsilah :
— Ô ma sœur, qu'Élohim nous pardonne !
À voir son visage, je compris que je n'avais plus rien à lui apprendre. Adah se précipita vers notre porte.
— Adah, que fais-tu ? s'écria ma mère.
Nous courûmes à sa suite. La barre avait été mise au battant. Elle était trop lourde pour les bras d'Adah. Elle s'acharna à vouloir l'enlever, réclama notre aide. Ma mère Tsilah la prit dans ses bras.
— Adah, ma sœur, où veux-tu aller ? Tu ne rattraperas pas Beyouria et Nahman.
Il nous fallut beaucoup de patience et de soins pour calmer Adah. Pendant tout ce temps, le vacarme de la bataille
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