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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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le bétail enfermé pendant la bataille. Je sortis pour rejoindre le troupeau qui avait appartenu à Yaval. Je ne trouvai pas l'enclos. Je demandai ici et là. Personne ne put me répondre.
    J'aperçus le vieil Arkahana.
    — Je cherche le troupeau de Yaval, lui dis-je. Mon père Lemec'h veut un agneau de peu de jours pour l'autel d'Élohim.
    Arkahana se leva en traînant sa jambe et prit son temps pour me répondre :
    — Le troupeau de ton frère n'est plus. Yaval a fui Hénoch. Il est allé rejoindre les idolâtres. Personne ne veut de son troupeau près de nos murs. On a poussé les bêtes loin dans le désert. Yaval les trouvera s'il les cherche ou les démons de ses amis idolâtres en prendront soin. Tu peux l'annoncer à Lemec'h.
    Je portai ces mots à mon père. Il mit un moment avant de se décider :
    — Demande l'offrande à Arkahana ou à qui voudra bien me la donner.
    Quand je revins vers lui, Arkahana secoua la tête :
    — Je ne donnerai pas d'offrande à Lemec'h. Et, toi, ne t'abaisse pas à en demander ailleurs, ô Nahamma. C'est inutile. Lemec'h nous a conduits là où nous sommes. Nous n'irons pas plus loin.
    Arkahana vit ma détresse à la pensée de ce que je devrais annoncer à mon père. Il ajouta :
    — Fille de Tsilah, on te prétend sage comme pas une autre fille d'Hénoch. À quoi bon faire grésiller la viande sur l'autel d'Élohim ? Où est la gloire d'Hénoch dont il faut Le remercier ? Lemec'h s'est trompé. Le sang a coulé et l'odeur de la mort est partout. Le ciel d'Hénoch est vide et sombre. Nulle part ne s'y trouve la paume d'Élohim.
    Quand mon père Lemec'h m'entendit répéter les paroles d'Arkahana, la colère le reprit un instant. Ses yeux blancs s'écarquillèrent. Il se redressa, ferme sur son bâton. Il en frappa le sol et retrouva sa voix d'avant la bataille :
    — Que sait Arkahana de la paume d'Élohim et de Ses intentions envers ceux d'Hénoch ? Qui est-il pour le savoir ?
    Mais aussitôt venue, cette fureur se retira. Ses mains tremblèrent sur son bâton. Il s'agenouilla à nouveau.
    — Au moins, murmura-t-il, pourrais-tu allumer le feu sur l'autel ?
    J'allai quérir des braises dans l'appentis de la cuisine. Ma mère Tsilah m'y trouva.
    — Que fais-tu là ? Je te cherchais partout.
    Je le lui dis.
    — Es-tu folle ? Nous avons besoin de ces braises pour préparer les corps de Beyouria et de Nahman ! Adah et Noadia pleurent à s'en étouffer. Nous allons devoir faire le travail toutes les deux.
    — Mais mon père...
    — Ton père ! Laisse donc Lemec'h devant son autel vide ! S'il veut y brûler des offrandes, qu'il y dépose son orgueil et ses mensonges d'assassin. Il en sortira un assez grand brasier pour plaire à Élohim !
     

19
    Ma mère Tsilah décida que Noadia et moi porterions la civière où reposait Beyouria. Son corps et celui de son fils étaient assez légers pour que nous puissions sans trop de peine en supporter le poids. Sous le tapis qui les enveloppait, Nahman reposait entre les seins de sa mère, cœur contre cœur, couvrant ses plaies. Le crépuscule n'était pas loin quand nous les emportâmes.
    À peine avions-nous franchi notre seuil que le peuple d'Hénoch s'assembla derrière nous. Une longue colonne s'étira jusqu'à la tombe nouvelle, creusée au côté de celle de Tubal. Aux quatre angles de la fosse, les torches étaient prêtes, les pierres amassées pour que chacun pût en recouvrir les morts, selon la tradition.
    Le silence écrasait tout. Adah s'appuyait sur ma mère. Elle s'était vidée de ses larmes. Chaque respiration lui était une si grande douleur qu'elle ployait comme sous des coups.
    Des hommes se présentèrent afin de descendre le tapis dans la terre. On embrasa les torches. Des voix commencèrent à psalmodier :
    — Ô Puissant de l'Éden,
    Toi qui peux tout et juges tout,
    Tends Ta paume sur Beyouria,
    Tends Ta paume sur Nahman.
    Lève de leur poitrine la malédiction des générations.
     
    Tsilah cria :
    — Non, non ! Taisez-vous ! Pas de supplique !
    Le chant s'interrompit. Des murmures de protestation s'élevèrent. Ma mère Tsilah fit face au peuple d'Hénoch :
    — Ne le comprenez-vous pas ? Vos mots n'ont plus de sens. À quoi bon continuer à prier et à supplier Élohim ? Croyez-vous qu'Il va tendre Sa paume sur Beyouria et sur son fils ? Ou sur chacun de nous ?
    Des hommes s'avancèrent, le visage tordu par la fureur :
    — Femme de Lemec'h, qui te donne le

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