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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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n'efface pas le sang ! Par ta faute nous serons tous détruits, et toi tu t'obstines. Les idolâtres ne se trompent pas : nous sommes devenus des sans-Dieu. Des autels d'Élohim montent des fumées puantes qui ne font que noircir le ciel. Tu te crois encore devant la face d'Élohim, mais Il s'est détourné de nous depuis mille ans ! Avant même que nos mères soient prises du désir des hommes. Et il en sera ainsi pour toujours et pour toutes nos générations ! Ton cœur et ta pensée sont plus aveugles encore que tes yeux, ô Lemec'h, mon père ! Plutôt que de préparer des flèches, des piques et des lances qui ne servent qu'à nourrir tes rêves de sang et de meurtre, ouvre donc les portes d'Hénoch ! Que notre frère Youval marche vers les idolâtres avec son flûtiau aux mille sons. Là-bas, ils l'accueilleront avec bonheur. Car eux, ils savent encore ce qu'est la joie des jours à venir. Leurs femmes ne craignent pas d'enfanter et leurs dieux aiment leurs sarabandes !
     
    Yaval jeta encore un grand rire avant de s'éloigner vivement. L'ombre l'engloutit. Notre père Lemec'h entendit ses pas qui s'estompaient.
    — Yaval ! Yaval ! Où vas-tu ?
    — Mon père, dis-je, Yaval n'est plus là.
    — Nahamma ? Tu es là, toi ?
    — Je suis là, mon père.
    — Ah.
    Stupéfait, il resta un long moment à me fixer. Enfin, il déclara :
    — L'aube n'est plus loin, je le sens. Yaval a voulu me tromper, la nuit n'est plus si noire.
    Il avait raison. Yaval avait menti. La nuit se teintait de lait et le cercle de feu des idolâtres était presque éteint. La lune, fine comme un brin de laine, s'effaçait lentement. Les étoiles brillaient moins.
    Je le lui dis. Il agita la main :
    — Viens, ma fille. Descends du mur et conduis-moi devant le vieil Arkahana.
     

17
    Comme tous les vieillards d'Hénoch, Arkahana, envoûté par la magie des sons de Youval, se dandinait sur le mur, brandissant une torche. La vue de Lemec'h le sortit de sa béatitude.
    Mon père lui donna aussitôt des ordres. Il était temps de se dégriser des chants et des danses ! Le haut mur d'enceinte n'était plus fait pour la musique. Que les guerriers se tiennent prêts, la main sur leurs arcs et lances ! Que les femmes se mettent à l'abri dans leurs cours ! Youval devait continuer d'arpenter les murs en soufflant ses sons. Les plus jeunes devaient se saisir des torches et courir sur toute la longueur des remparts afin que les idolâtres croient que la sarabande se poursuivait encore.
    La fraîcheur, en cette fin de nuit, me mordit la poitrine. Ou peut-être fut-ce le souvenir des mots de Yaval. Sa violence envers moi. Ou la pensée de Youval. Il allait rester seul à souffler sa musique. Un désir intense me vint de le rejoindre, de le protéger. D'être dans sa chaleur. De caresser son visage, aussi.
    N'avait-il pas besoin de moi ? Ne m'avait-il pas demandé de demeurer sous son regard ? Me cherchait-il ? Lui manquais-je ?
    Savait-il que mon père se servait de lui pour tromper les idolâtres ?
    Connaissait-il la jalousie de Yaval ? Pensait-il comme son frère ? Était-il lui aussi plein de haine envers notre père ?
    Ces questions m'étouffaient. Des questions inutiles. Youval ne se préoccupait ni des mots de notre père ni d'Élohim. Il n'avait pas l'orgueil de Yaval ni son besoin de rivaliser avec Lemec'h. Seule comptait pour lui la beauté des notes qu'il tirait de ses joncs.
    Je me précipitai dans les ruelles. Des creux et des recoins montaient des rires et des chuchotements de plaisir. Ici et là retentissaient les appels impatients des hommes lancés par Arkahana pour rassembler les combattants. Je crus entendre la voix de ma sœur Noadia protester. Comme toutes les filles d'Hénoch, elle voulait oublier le jour qui se levait.
    Lorsque je l'atteignis, la porte de notre cour s'ouvrit. Une silhouette apparut. Beyouria ! Enveloppée de son grand manteau, elle passa sans me voir. Je la rattrapai.
    — Beyouria ! Où vas-tu ?
    Elle se retourna, me découvrit avec stupeur. Son manteau s'écarta. J'entrevis le visage minuscule de Nahman. Beyouria souffla mon nom :
    — Nahamma ! Ma sœur, s'il te plaît, ne dis rien ! gémit-elle.
    — Que se passe-t-il ? Où vas-tu ? Avec ton fils ! Ce n'est pas le moment de sortir de notre cour. Notre père...
    Beyouria recula sans répondre. Elle voulut reprendre sa course. J'agrippai son manteau.
    — Beyouria, attends ! Ne sois pas folle.

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