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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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d'hypocrite pour de bon !
    — Je l'ai croisé au début de la nuit, alors que je marchais pour rejoindre Hénoch, dit Lekh-Lekha sans se départir de son calme. Il allait lentement, butant contre les cailloux et s'empêtrant dans les broussailles. Je l'ai approché. Je lui ai demandé : « Où vas-tu, mon frère ? » Il ne m'a pas répondu. J'ai marché un moment à son côté. J'ai compris qu'il allait au hasard. Je lui ai dit : « Lemec'h, où vas-tu ? Tu reconnais ma voix, tu sais qui je suis. Veux-tu que je t'accompagne ? Si tu continues seul, tu tomberas dans un trou et te casseras un membre. Ce serait t'offrir aux charognards ! » Lemec'h n'a toujours pas prononcé un mot. Je l'ai suivi quand même. Après un long moment, il s'est tourné vers moi : « Lekh-Lekha, fils d'idolâtre, retourne d'où tu viens ! Là où je vais, tu pueras aux narines d'Élohim. » Je n'ai pas protesté. Il s'est remis en route. Je l'ai regardé s'enfoncer dans la nuit. Avant de disparaître tout à fait, il s'est arrêté encore et a crié : « Lekh-Lekha, si tu veux m'être utile, indique-moi où se trouvent les fauves ! » J'ai répondu : « Droit devant toi, ô Lemec'h ! »
    Ceux qui avaient défoncé notre porte et abattu leurs armes sur le cadavre d'Awan s'observaient maintenant, pleins d'embarras. Pleins de peur, aussi.
    Ma mère Tsilah brisa le silence :
    — Maintenant, assassins, quittez cette cour. Il est temps de préparer la Grande-Mère Awan pour qu'elle puisse approcher Élohim.
     

5
    De tout le jour, il n'y eut plus ni cri ni vocifération.
    Des femmes restèrent dans notre cour pour aider ma mère Tsilah et Adah. Ensemble, elles lavèrent et parfumèrent le corps d'Awan. Le travail était difficile tant la dépouille de la Grande-Mère, déjà imposante, avait été massacrée. Elles m'ordonnèrent de tisser un ruban de rouge, de bleu et de noir pour serrer ses poignets et maintenir ses mains sur les plaies ouvertes par la hache d'Irad. Je les en remerciai du fond du cœur. Je dressai mon cadre à tisser dans un recoin. À l'abri des bavardages et des craintes, je laissai mes mains s'agiter jusqu'aux ombres du soir. Je m'appliquai à ma tâche sans songer aux jours à venir, heureuse que la Grande-Mère Awan emporte un présent de moi sur le chemin de l'autre monde.
    Au crépuscule, les hommes furent de retour dans notre cour. Ils apportaient les torches de la fosse et des branchages pour transporter la dépouille d'Awan. Elle était si longue et si large qu'il fallut huit paires de bras pour l'y installer.
    Ma mère Tsilah me voulut à son côté, juste derrière les porteurs. Adah et Noadia nous suivaient. Quand nous quittâmes notre cour, les gens d'Hénoch, deux par deux, étoffèrent le cortège. Pas un mot ne fut prononcé. Dans le silence, seul s'entendait le frottement des semelles.
    À l'approche du mur d'enceinte, les porteurs hésitèrent. Des sons bien reconnaissables résonnaient entre les murs. Le flûtiau de Youval ! Son brin de jonc simple et tendre. Celui qui nous avait fait danser avant la guerre contre les idolâtres.
    Je tremblai. Derrière moi, Adah gémit :
    — Oh ! Youval, mon fils !
    Les sanglots la mirent à genoux. Noadia et ma mère Tsilah la relevèrent. Nous reprîmes notre marche derrière la litière d'Awan. Les sons de Youval devinrent de plus en plus nets. Leur simple beauté brisait le cœur. On y devinait la tendresse de l'adieu. Enfin, Youval apparut. Il vint à notre rencontre de sa démarche ondoyante. J'aurais voulu croiser son regard. Mais, paupières baissées, il prit place à côté des porteurs. Nous sortîmes d'Hénoch. Les larmes coulaient sur les joues de ma mère. Ma vue à moi aussi se brouilla.
     
    Le soleil rougeoyait sur l'horizon, énorme et sanglant, lorsque nous parvînmes près de la fosse qui attendait la Grande-Mère Awan. À côté, les hommes avaient amoncelé quantité de pierres pour que nous puissions en recouvrir la dépouille.
    Les porteurs abaissèrent les branches nouées avec des cordes de lin sur lesquelles reposait le corps d'Awan. On alluma les torches. Le moment était venu de la prière. Une nouvelle dispute éclata quand nous commençâmes à murmurer la supplique à Élohim :
    — Ô Puissant de l'Éden
    Toi qui peux tout et juges tout...
     
    Une voix hurla :
    — Femmes, taisez-vous donc !
    C'était Kush, l'un des porteurs, jeune et plein de vigueur. Empli de colère, aussi. Il agita

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