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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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le poing devant nous toutes et se tourna vers les hommes en montrant le ciel.
    — À quoi bon répéter ces suppliques de bonnes femmes peureuses ? cria-t-il. Élohim se moque de nos mots. On connaît Sa réponse. Jamais Il ne voudra de la Grande-Mère près de Lui. Ce qu'Il veut, c'est nous voir crever ! Et vous, vous le priez encore ? Autant cracher dans la poussière !
    D'autres voix s'élevèrent pour le soutenir :
    — Kush a raison ! Taisons-nous. Tout ce que nous pouvons faire, c'est recouvrir le corps de la Grande-Mère d'une masse de cailloux assez haute pour que la vermine et les charognards ne souillent pas ses restes. Cela suffira.
    Beaucoup se tournèrent vers ma mère Tsilah, attendant sa réplique. Elle ne broncha pas. Ce fut le vieil Arkahana qui s'avança en boitillant pour lancer :
    — Il se peut qu'Élohim ne nous écoute plus, nous, les générations d'Hénoch. Mais savez-vous s'Il n'écoutait pas notre Grande-Mère ? Et savez-vous si elle n'a pas besoin de nos prières ?
    — Elle qui nous a condamnés ? Elle par qui tout le mal d'Hénoch est advenu ? s'insurgea Kush.
    Une vieille femme cria :
    — Arkahana, tu n'es qu'un vieux fou ! Awan se moque depuis longtemps de tes prières. Elle est seulement revenue à Hénoch pour nous humilier une fois de plus avant de mourir.
    Kush ricana :
    — Elle ne valait pas mieux que Lemec'h, que tu as suivi depuis toujours comme ton ombre, Arkahana.
    Adah bondit, hors d'elle. Elle gifla la bouche de Kush de toutes ses forces.
    — Lave ta bouche, Kush ! Que la honte soit sur toi !
    Kush gronda sous l'affront. Il emprisonna les poignets d'Adah et s'apprêta à la frapper. Je me précipitai pour arrêter sa main. Ma mère brandit le bâton d'Awan :
    — Ne lève pas la main sur Adah, Kush, ou je te brise la nuque !
    Kush recula. La brise nocturne nous fit frissonner. Adah, la face ravagée par les larmes, s'écria :
    — Pour vous, hommes d'Hénoch, tout ce qui vous arrive est toujours de la faute des autres !
    Kush ricana, me repoussant loin de lui :
    — Écoutez tous ! Écoutez Adah nous donner des leçons !
    — Eh, femme de Lemec'h ! renchérit un compagnon de Kush. Femme de Lemec'h, ose dire devant nous qu'Awan n'est pas la cause du châtiment d'Élohim !
    Une nouvelle voix s'éleva :
    — Kush a raison. Ce mal que la vieille Awan nous reprochait n'est-il pas venu d'elle, notre aïeule à tous ?
    La dispute gagnait les uns et les autres. Chacun haussait le ton, accusait, condamnait :
    — Au lieu de prier pour elle et de monter le tertre sur elle, on ferait mieux de la brûler. Élohim pourrait s'en réjouir et nous remercier !
    — Honte à toi, tu parles comme Lemec'h !
    — Le mal est venu en nous avec les générations, en quoi cela fait-il de nous des coupables ?
    — Oh, oh, Kush ! Bel innocent que tu es ! se récria Adah. La Grande-Mère Awan a vécu mille ans dans la poussière du pays de Nôd pour réparer sa faute. Mais toi ? Des années passées à souffler dans l'air et à engrosser les filles et tu te crois innocent ?
     
    Ma mère Tsilah, appuyée sur le grand bâton blanc d'Awan, ne bronchait plus. À l'écart des torches, au cœur de l'ombre épaisse, je cherchai Youval. Il n'était plus là. Pourquoi ne venait-il pas auprès de sa mère ? Je distinguai Lekh-Lekha en retrait, enveloppé dans sa cape de cuir. Comme ma mère Tsilah, il observait la dispute, la bouche close et les mains croisées sur son arc.
    Finalement, Arkahana intervint :
    — Taisez-vous donc tous ! Allez-vous vous battre devant la fosse de la Grande-Mère Awan ? Êtes-vous devenus aussi sauvages que les idolâtres ?
    L'insulte ramena un peu de calme. Adah agrippa la manche de ma mère :
    — Tsilah, parle ! Awan est venue mourir dans notre cuisine. Tu as veillé sur son dernier souffle. Commence la prière.
    Ma mère resta impassible, autant que si elle n'avait pas entendu.
    Moqueur, Kush eut un geste de la main vers elle :
    — Si tu ne pries pas, femme de Lemec'h, parle. Dis ta pensée. On sait tous ici que tu as la langue bien pendue.
    La lueur rouge des torches accentua le sourire sur les lèvres de ma mère.
    — Je pense comme toi, Kush. Notre Grande-Mère n'a pas besoin de tes prières. Ni moi non plus : chaque mot qui sort de ta bouche nous souille un peu plus.
    Kush se raidit. Autour de lui, un grognement de protestation roula dans l'obscurité. Tsilah leva le bâton blanc d'Awan, en

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