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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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genre de ruse !
    Ils furent plusieurs à se précipiter. Ma mère voulut s'interposer. En vain. Irad était déjà près de la murette. Sans même soulever le linge qui recouvrait la Grande-Mère, il abattit sa hache sur le corps. Il n'en monta aucune plainte, seulement le bruit des os brisés sous le bronze. Je criai. Déjà le lin recouvrant Awan se teintait de sang.
    Irad brailla :
    — Lemec'h, Lemec'h, que ta mort nous épargne la colère d'Élohim !
    Ils se précipitèrent tous. Abattant sur la forme allongée leurs poings, leurs bâtons, les pointes de leurs flèches, les lames de leurs lances, ils scandaient :
    — Lemec'h, Lemec'h, que ta mort nous épargne la colère d'Élohim !
    Je voulus me jeter au milieu d'eux, retenir leurs bras. Ma mère Tsilah m'en empêcha :
    — Nahamma ! Ne sois pas folle !
    Adah s'agrippa à moi. Les yeux révulsés, elle balbutiait :
    — Élohim, Élohim ! Ô Élohim, béni sois-Tu, je t'en supplie, reconnais les innocents !
    Leur fureur se calma aussi soudainement qu'elle était venue. Le sang ruisselait de la murette. Les assaillants s'en écartèrent. On entendit les halètements des plus violents. C'est alors qu'une voix déclara :
    — Si c'est Lemec'h que vous avez cru achever, vous vous êtes trompés. Il a quitté cette cour depuis longtemps.
     
    Celui qui avait parlé s'appelait Lekh-Lekha, fils de Metouchael, le père de mon père et le demi-frère de Lemec'h. C'était un homme grand et mince, à la barbe soignée et aux yeux clairs. Sa mère avait été une servante-esclave à qui Metouchael ouvrait les cuisses quand il lui plaisait.
    Lekh-Lekha était plus jeune que Lemec'h de la moitié de son âge environ. Le plus souvent, il se tenait à l'écart d'Hénoch. Il vivait de chasse, courait loin dans le pays de Nôd pour trouver ses proies. Il en rapportait les peaux et la viande. Il m'était arrivé d'entendre Yaval parler de lui avec respect et admiration, mais son nom n'avait jamais franchi les lèvres de mon père.
    Dans sa tenue particulière – sa tunique ceinturée, son manteau de cuir replié sur l'épaule sous la sangle du carquois et ses sandales lacées avec soin jusque sous les genoux – il se tenait parmi les débris de la porte. Son arc de cèdre était presque aussi haut que lui.
    Repoussant les uns et les autres il marcha jusqu'au linge rouge de sang et dévoila le visage et la poitrine tailladés et écrasés de la Grande-Mère Awan.
    Un cri d'effroi sortit de toutes les gorges, rebondissant sur les murs.
    — Vous avez frappé la Grande-Mère, lança Lekh-Lekha. Et vous l'avez frappée alors qu'elle reposait déjà dans la mort. Les hyènes du désert ne sont rien à côté de vous.
    Ma mère Tsilah se plaça au côté de Lekh-Lekha devant le grand corps d'Awan. Elle brandit son bâton blanc. Le mépris déformait son beau visage. Une joie vengeresse dansait dans le noir de ses yeux. Depuis les premiers coups de hache contre notre porte, elle avait deviné comment les choses allaient tourner. Ses paroles furent aussi brûlantes que son regard :
    — Élohim a reconduit notre Grande-Mère Awan jusque dans nos murs pour qu'elle rende son dernier souffle dans cette cuisine où elle a cuit le millet pour Caïn et Hénoch, le fils qui a donné son nom à notre cité. Vous voilà à présent les assassins d'une morte ! Les assassins de la fille de nos Ancêtres Adam et Ève. Avec vous, le mal ne connaît plus de bornes. Élohim a maudit Hénoch. Il vous maudit tout autant. Il veillera à la ruine de nos murs. Pas un de nous n'en réchappera. Pas un seul ! Et c'est tant mieux. Loué soit Élohim !
    Les paroles de ma mère Tsilah résonnaient comme si elles tombaient droit du ciel. Je les vis tous se courber, Irad le furieux comme tous ceux qui l'accompagnaient. L'horreur de leur faute pesait sur chacun d'eux. Pour la première fois, la prédiction d'Awan atteignait leur cœur.
    Peut-être comprirent-ils aussi qu'ils allaient vraiment mourir.
    Mais cela ne dura guère. La bouche déformée par la haine, Irad s'avança vers Lekh-Lekha :
    — Où est Lemec'h ? Dis-le, puisque tu le sais.
    Lekh-Lekha le toisa :
    — Il est là où tu ne pourras plus l'atteindre.
    Irad leva sa hache encore luisante du sang de la Grande-Mère.
    — Où ?
    Avec un calme impressionnant, Lekh-Lekha sourit.
    — Ô Irad, comme tu aimes le sang du meurtre maintenant que tu y as goûté !
    — Parle ou le bronze de ma hache va fermer ta bouche

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