Ève
beaucoup.
Nous prîmes la direction des maisons. Leurs murs n'étaient pas faits de briques cuites au soleil comme ceux d'Hénoch. Ce n'était que de la boue séchée plaquée sur des branches. Des ramures formaient les toits. Des clôtures plus épaisses entouraient plusieurs maisons rondes. Le petit bétail et d'autres bêtes couraient ou se dandinaient à nos pieds. Femmes et hommes allaient à demi nus, seulement recouverts à partir de la taille d'un mauvais tissage brun qui leur pendait jusqu'aux mollets.
Ils prirent la fuite en nous voyant. Étions-nous à leurs yeux si différents ? Nous les vîmes nous épier de derrière les palissades puis réapparaître sur le seuil de leurs bâtisses, protégés simplement par des lés de tissu qui leur servaient de porte. Ils tenaient dans la main des bâtons plus hauts qu'eux. Puis accoururent en hurlant des gamins chargés de pierres. Nous prîmes la fuite à notre tour. Honteux. Par chance, ils ne s'éloignèrent guère de leurs logis.
Arkahana insista :
— Avançons ! Avançons ! Trouvons d'autres cités et d'autres gens. Ils ne seront pas tous comme ceux-ci.
Nous longeâmes le fleuve. Lorsque nous fûmes assez près pour entendre le frottement des vagues contre la rive, l'effroi nous saisit. Le fleuve était encore plus large que nous l'avions cru ! L'eau était épaisse et sombre comme une terre liquide.
Pourquoi Élohim nous avait-Il conduits jusqu'ici ? Le désespoir me serra la gorge. Sans doute Lekh-Lekha comprit-il ce que je ressentais. Je l'entendis grommeler :
— À se cogner la tête contre les murs, il ne vient que des bosses.
Soudain, An-Kahana leva les bras en montrant le fleuve :
— Regardez ! Regardez !
Il désigna au milieu de l'eau une sorte de tente pointue dressée sur ce qui semblait être un amas de bois. Dessus, on devinait des silhouettes d'hommes.
— Voilà comment ils traversent le fleuve ! s'exclama Lekh-Lekha.
En progressant, nous découvrîmes d'autres tentes flottantes, plus grandes ou plus petites. Lekh-Lekha finit par expliquer :
— C'est la brise qui les pousse. Elle souffle sur la toile de lin comme sur une braise.
Arkahana reprit sa marche, tout excité :
— Que vous avais-je dit ? Les gens d'ici sauront nous conseiller.
Nous atteignîmes une nouvelle cité. Elle était plus vaste que la première et ses murs d'enceinte plus hauts. Le chemin où nous étions menait droit sur une porte semblable à celles d'Hénoch. De loin, nous aperçûmes des hommes en tenue de cuir qui s'y tenaient, lances et piques au poing.
— Qui frappe les buissons en fait sortir les serpents, murmura Yohanan.
Nous ralentîmes le pas. Yohanan finit par dire à voix haute ce que nous pensions tous :
— Ils ne nous laisseront pas entrer.
Aussitôt, Damasku s'immobilisa.
— Je ne vais pas plus loin. Pas question qu'on me jette des pierres une fois de plus.
— Damasku a raison, dit Erel en croisant les mains sur son ventre comme pour protéger son fils. Moi non plus, je n'avance pas.
On se regarda, emplis de crainte et d'embarras.
— Cette fois, ce ne seront pas des pierres, dit avec raison An-Kahana à son père en désignant les gardes.
Mais nous nous étions déjà trop aventurés sur le chemin pour pouvoir reculer. Les gardes nous avaient vus. Ils nous observaient. Nos tenues ou notre petit groupe devaient leur paraître étranges.
— Restez ici, dit Arkahana. Je vais m'approcher et leur dire qui nous sommes.
— N'y va pas seul ! s'exclama ma mère Tsilah. Je t'accompagne.
Lekh-Lekha eut un geste pour la retenir. Elle le repoussa et avança au côté d'Arkahana.
Le cœur battant, nous les regardâmes marcher vers la porte d'un pas calme. À peine furent-ils à cinquante pas que les gardes abaissèrent vers eux leurs piques et leurs lances. Arkahana leva les mains en signe de paix. Les gardes crièrent. Derrière eux apparurent d'autres hommes en armes. La voix d'Arkahana résonna, suppliante. Du haut du mur, un homme se dressa. Sa tête était couverte de bronze et de plumes d'oiseau. Il lança ce qui ressemblait à un ordre.
Deux hommes tendirent leurs arcs. Une flèche siffla. Elle se brisa contre une roche à trois pas du vieil Arkahana.
Ma mère Tsilah l'agrippa pour le faire reculer. Le geste fut trop brutal. La mauvaise jambe d'Arkahana céda, il s'affaissa sur le chemin. On entendit les rires des gardes. Je courus vers ma mère, Damasku à mon côté.
Ma mère Tsilah
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