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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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des coussins, des jarres de lait fermenté et des dattes. Si peu habitués à ce confort et à cette politesse opulente, mes compagnons paraissaient impressionnés.
    Notre Mère Ève demanda :
    — Racontez-moi ce que vous savez de mon fils Caïn et de son épouse Awan.
    Embarrassés, ceux d'Hénoch s'observèrent sans répondre.
    — Allons, allons, insista Ève, son sourire masquant à peine son impatience. Parlez-moi de leur vie au pays de Nôd. À Hénoch, vous deviez bien prononcer le nom de votre Grand-Aïeul. De temps en temps...
    — En vérité, ô Mère de nous tous, osa enfin ma mère Tsilah, nous ne l'avons vu que déjà mort dans la cour de Lemec'h. Le cadavre de Tubal, mon fils, gisait auprès de lui.
    — Ton fils ? Celui qui a forgé le bronze qui a tué Caïn ?
    La question d'Ève était directe et froide.
    Ma mère Tsilah opina. Il y eut un nouveau silence. Lekh-Lekha se racla la gorge :
    — J'ai passé ma vie à chasser dans la poussière et les broussailles de Nôd. Ton fils Caïn, je l'ai surpris à plusieurs reprises ici ou là. Toujours il se déplaçait. Et vite, et courant ! Il allait d'est en ouest, du nord au sud, jamais en repos ! N'était-ce pas la volonté d'Élohim ? Il était trop immense pour qu'on puisse l'ignorer. Sa tête rouge apparaissait au retour d'une colline, dans un pierrier ou au travers des bosquets d'épines. Sa seule présence suffisait à retenir nos pas et à mettre en fuite les hyènes et les serpents. Je me suis souvent demandé de quoi se nourrissait le fils d'Ève et d'Adam. Peut-être de rien... Un jour, il y a longtemps, j'étais tout jeune moi-même, je l'ai vu courir sur la crête d'une dune, dans la première lueur de l'aube. Impossible de savoir ce qu'il poursuivait. Du gibier, dans les dunes, je n'en ai jamais trouvé. Mais de le voir courir ainsi, comme sur le haut du monde, immense et la tête plus rouge que le soleil, j'eus un frisson de fièvre, comme si m'apparaissait l'œuvre d'Élohim dévoilée, toute nue, comme une vision d'ordinaire interdite à nos yeux. Deux fois, c'est lui qui m'a aperçu le premier. De loin, il a levé la main dans ma direction. Le temps que je me ressaisisse pour le saluer, il avait déjà disparu. Si bien que sa voix, ô notre Mère à tous, je ne l'ai jamais entendue.
    — Comment t'appelles-tu, toi qui l'as vu ? demanda Ève, troublée.
    — Lekh-Lekha, fils de Metouchael, le père de Lemec'h, et d'une servante qui n'était pas des générations de ton fils.
    — Ah, je comprends, approuva Ève. C'est pour cela que tu l'as si bien vu. Était-il vieux d'apparence ?
    — Très vieux, oui. Plus que les vieillards que l'on peut croiser à Hénoch ou dans le pays de Nôd. Et pourtant solide comme aucun d'eux.
    Ève se tourna vers Tsilah et les autres :
    — Et quand la flèche de Lemec'h lui a percé la poitrine, l'avez-vous pleuré ?
    Chacun baissa le front. Ève soupira :
    — Non, bien sûr. Vous lui en vouliez tous autant que Lemec'h. Mais sans oser le montrer. Vos malheurs et votre mauvaise vie dans Hénoch, qui d'autre que mon fils Caïn en était la cause...
    Ce n'était pas une question, il n'y eut pas de réponse.
    L'accablement voûta les épaules d'Ève. Pour la première fois, son âge transparut. Ma mère Tsilah dit :
    — Grande-Mère...
    Ève l'interrompit d'un geste violent :
    — Femme, cesse donc de m'appeler Grande-Mère ! Je ne le suis pas, je ne l'ai jamais été. Pas plus que je n'ai été grande, petite ou bonne ! J'ai enfanté, c'est tout. J'ai enfanté selon le désir de YHVH. Rien ne m'est venu de mes enfants, sinon des reproches. Ni plaisir, ni curiosité, ni fierté, ni même l'apparence de l'âge. Je suis Ève. Ève, la première d'entre vous dans le temps, créée côte à côte d'un homme. Rien d'autre.
    Ma mère Tsilah se mordit les lèvres. Par en dessous, elle me jeta un coup d'œil inquiet. Je l'encourageai d'un geste. Je commençai à m'habituer à la franchise des Ancêtres. Contrairement à nous, ils ne masquaient pas ce qu'ils pensaient, ce qui tourmentait leur cœur ou le réjouissait. Ils ne mentaient pas. Ils ignoraient l'hypocrisie. Quelle que soit la rudesse de leurs opinions, de leurs émotions et de leurs goûts, cette rudesse leur était naturelle. Ils ne cherchaient pas à la retenir. Et peut-être, aussi, Ève comme Adam prenaient-ils un certain plaisir à la crainte qu'ils inspiraient.
    Tsilah se redressa et, l'air plus assurée, elle reprit :
    —

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