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Ève

Ève

Titel: Ève Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marek Halter
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C'est donc vrai, chuchotai-je. Je vais la voir, comme me l'a promis ton père Seth ?
    — La promesse ne vient pas de mon père, murmura Noah. Pense à remercier YHVH du soin qu'Il prend de toi, et ton sommeil viendra vite.
    Sans un mot de plus, il s'éloigna.
     
    La tempête des paroles entendues m'emportait. La tête me tournait. Les paysages, les visages croisés en cette journée sans pareille me voilaient la vue. Je ne sais combien de temps je demeurai prostrée sur ma couche, ressassant ces bouleversements trop grands pour mon cœur.
    Soudain je perçus des frottements de semelles et des chuchotements derrière la tenture. Immédiatement, je songeai à notre Mère Ève. Était-elle déjà là ?
    Je bondis pour écarter la tenture. La nuit était trop opaque pour y voir. Elle pesait de tout son poids sur la cour. Les pointes des étoiles soutenaient le ciel sans lune. Les torches de la cuisine étaient éteintes. Tout au plus devinai-je les bruits légers d'une course et des rires mal étouffés. Des filles de Seth s'étaient sans doute approchées dans l'espoir d'apaiser leur curiosité envers « celle d'Hénoch », comme on le fait avec des animaux étranges. Dans le noir, elles avaient dû se contenter d'écouter mon souffle.
    En avançant dans la cour pour respirer l'air plus pur que celui de la hutte, je heurtai du pied une écuelle de bois. Je m'inclinai pour la saisir. Elle était emplie d'une bouillie merveilleusement parfumée.
    Je m'en voulus de mes mauvaises pensées. Les filles de Seth n'étaient pas venues se moquer de moi, mais me nourrir après la longue journée, et bien qu'il soit très tard. Je mangeai avidement, découvrant ma faim à chaque gorgée.
    Quoiqu'il me fut impossible de voir ce que j'avalais, je me délectai des goûts et des parfums qui embaumaient mon palais. Ce n'est qu'une fois rassasiée que je compris que la chair étrange et légère que je venais de goûter pour la première fois était du poisson.
    Je me souvins alors du conseil de Noah. L'écuelle reposée, je priai YHVH-Élohim. Avec ferveur. Je marmonnai encore des remerciements qui ne devaient plus avoir beaucoup de sens. Le sommeil me visita.
     
    La lumière de l'aube me réveilla en sursaut. Et plus encore, une fois mes yeux ouverts, la vision de la femme agenouillée au pied de ma couche.
    Elle ne devait pas avoir beaucoup plus d'années que moi, mais son corps était déjà plein et mûr. Son visage délicat était aussi lumineux que l'aube qui l'éclairait. Ses yeux, comme emplis d'une eau ruisselant sur des pierres de lune, passaient du bleu à l'ocre. Ils semblaient suspendus à l'arc de ses sourcils, si parfaits que le désir venait de les effleurer. Ses tempes étaient à demi couvertes par une chevelure couleur de crépuscule qui retombait en boucles sur ses épaules. Dans l'inclinaison qu'elle avait pour m'observer, certaines de ses mèches s'égaraient sur sa bouche bien dessinée, aux lèvres ourlées de tendresse.
    D'un geste léger qui devait lui être fréquent, elle repoussa ses cheveux pour dégager son cou à l'instant où je me redressai, honteuse de la mauvaise tunique, sale et déchirée, qui me couvrait. La sienne était d'une finesse que je n'avais jamais pu atteindre dans mes tissages. Un collier de grosses pierres noires et bleues pendait sur sa poitrine, roulant sur le lin tendu par ses seins.
    Je me mis debout, brûlante d'embarras.
    — Es-tu une femme de Seth ? Es-tu venue pour me conduire à notre Mère Ève ?
    Je ne lui laissai que le temps d'esquisser un geste avant d'ajouter, en fixant sa tunique si parfaite :
    — Comme tu vois, je porte la même tunique depuis notre départ d'Hénoch. Je vais avoir honte de me montrer à notre Ancêtre si sale et si mal vêtue.
    Elle rit, se leva à son tour.
    — Sois sans crainte, nous y avons pensé, dit-elle d'une voix profonde, très égale et aussi très paisible.
    Elle me désigna la sortie. Dehors, les femmes et les filles de Seth nous attendaient, attroupées. Au contraire de la veille, elles ne riaient ni ne s'agaçaient de plaisanteries à mon égard. Je songeai à la mise en garde de Seth : « Ne va pas infecter mes femmes et mes filles. »
    La femme à la chevelure couleur de crépuscule sembla deviner ma pensée.
    — Viens, me dit-elle, il n'y a rien à craindre de Seth. Nous sommes entre nous.
    Entourée d'elles toutes, je contournai la hutte pour longer le mur de la cour qui donnait sur le fleuve. Une porte y

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