Ève
était ouverte. Sur la berge, mes compagnes me dévêtirent et, sans que je puisse me défendre, elles me poussèrent dans l'eau, qui me fit crier de froid. Puis, du front aux orteils, elles m'enduisirent d'un onguent si gras qu'il fallut ensuite, pour m'en débarrasser, me frotter un long moment à l'aide d'un linge humide. Tout cela avec des rires, des cris et une joie que je n'avais, je crois, encore jamais vécue.
Maintes fois, je regardai en amont de la berge. Espérant y apercevoir les tentes de ceux d'Hénoch, peut-être même ma mère Tsilah. Combien elle aurait aimé, et Erel, Hanina et Hannuku autant qu'elle, subir un pareil bain et vivre autant de joie ! Mais d'eux, aucune trace.
Quand enfin je fus sèche, propre et même parfumée, la jeune femme à la chevelure couleur de crépuscule m'apporta une tunique semblable à la sienne.
— Maintenant, me dit-elle, tu es prête à rencontrer celle que tu es venue voir.
Elle me saisit la main, me conduisit près du mur de la cour de Seth. S'y trouvait un large bassin de bois rempli d'eau. Toutes les femmes de Seth nous entourèrent, étrangement fébriles.
— Qu'y a-t-il ? demandai-je, inquiète.
— Sais-tu te regarder dans l'eau ? demanda la femme.
— J'ai essayé à Hénoch, quand j'étais fillette. Mais l'eau y était trop rare pour ce jeu. Mon père Lemec'h l'a interdit aux femmes comme aux hommes.
— Ici, l'eau ne manque pas. Incline-toi et vois, dit-elle en reculant de quelques pas.
Oh, YHVH tout-puissant ! Quel était ce prodige ?
Le reflet que je découvris à la surface du bassin m'effraya tant que je reculai dans un sursaut. Puis je me penchai à nouveau au-dessus de l'eau.
Quel était ce sortilège ?
Le visage que je voyais me paraissait familier. Je me retournai. Mon visage était absolument semblable au visage si beau de celle qui m'avait conduite là. Seuls le noir de ma chevelure et le teint de ma peau étaient un peu différents, me donnant un air austère alors qu'elle était entièrement belle.
— Ce n'est pas possible ! m'écriai-je.
Autour de moi, les rires éclatèrent.
— Ce n'est pas possible ! répétai-je. Je te ressemble comme une sœur !
La femme rit de bon cœur. Elle me prit les mains, les baisa, m'attira tout contre elle :
— Je suis Ève.
7
Oh, l'étrange moment ! J'avais attendu cette rencontre depuis si longtemps ! Y compris dans mes songes. Mais « c'est vouloir saisir une ombre et atteindre le vent que de s'arrêter à des songes », disait mon père Lemec'h. Les femmes de Seth, elles, s'amusaient, heureuses comme devant une belle plaisanterie. Ève, doucement, tendrement, prenait plaisir à me contempler, à se mirer dans mon regard.
— Ne crois pas que tu me ressembles tout à fait, me dit-elle. Tes cheveux foncés te donnent un air beaucoup plus sérieux que le mien. Et ta jeunesse est véritable. Rien à voir avec mes ans. Heureusement que nous ne comparons pas notre souplesse ni nos hanches. Cela se voit, qu'entre elles tu n'as pas abrité des fils et des filles. Mais quel plaisir de t'observer ! Quel ravissement !
Et quel trouble ! Admirer la beauté d'Ève était un bonheur absolu. Par le plus merveilleux prodige, plus de mille ans avaient à peine marqué son visage, et on lisait, dans les rares marques que le temps y avait imprimées, toute l'intelligence de la vie et des jours voulus par Élohim. Ce qui faisait notre différence et dont elle se moquait – l'ampleur de ses hanches, le rebond suave de son ventre, le poids sensuel de sa poitrine, sa nuque élégante et plus courte que la mienne, ses mains puissantes – possédait une grâce que j'étais loin de détenir.
À présent, je comprenais l'étrange attitude des femmes de Seth quand elles m'avaient vue pour la première fois. Je comprenais l'étonnement de Seth lui-même et celui, si violent, d'Adam. Je comprenais le regard de Noah sur moi. Sa tendresse.
Mais quels étaient la volonté et le but d'Élohim en nous créant si semblables ? Quel destin me préparait-Il ? Cela, je ne le saisissais pas.
— Ne t'inquiète pas, ô ma Nahamma, me dit Ève en m'effleurant la joue comme si j'avais livré tout haut mes pensées. La volonté de YHVH, nous la découvrirons tôt ou tard. Quand Il le souhaitera. À quoi bon se tourmenter ? Il aime jouer avec nous, les humains.
J'allais protester. Adam déjà avait parlé d'Élohim en le traitant de joueur. N'était-ce pas blasphémer ?
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