Excalibur
me soient
une corvée, et qu’au bout d’une année ou deux de vaines querelles, j’y renonce
totalement. Issa continuait à collecter les impôts, cependant les honnêtes gens
se raréfiaient chaque année, aussi Mordred ne cessait-il de se plaindre de
manquer d’argent alors que Sansum et Argante s’enrichissaient.
Argante s’enrichissait,
mais demeurait bréhaigne. Elle se rendait parfois en Brocéliande, et de temps à
autre, Mordred revenait en Dumnonie, pourtant elle ne devenait pas grosse pour
autant. Elle priait, faisait des sacrifices, visitait des sources sacrées, et
restait stérile malgré tous ces efforts. Je me souviens de la puanteur qui
régnait aux réunions du Conseil lorsqu’elle portait une ceinture barbouillée de
selles d’enfants nouveau-nés, prétendu remède de l’infécondité ; cela ne
faisait pas plus d’effet que les infusions de bryone et de mandragore qu’elle
buvait tous les jours. Pour finir, Sansum la persuada que seul le christianisme
accomplirait ce miracle, aussi, deux ans après le premier séjour de Mordred en
Brocéliande, Argante mit Fergal à la porte et fut publiquement baptisée dans la
Ffraw, rivière qui coulait au nord de Durnovarie. Durant six mois, elle assista
chaque jour à l’office religieux dans l’immense église que Sansum avait édifiée
au centre de la ville, mais son ventre demeura aussi plat qu’avant son
immersion dans la rivière. Alors elle rappela Fergal au palais et il revint
avec de nouvelles décoctions de crottes de chauves-souris et de sang de fouine,
censées rendre Argante féconde.
Entre-temps,
Gwydre et Morwenna s’étaient mariés et avaient eu leur premier enfant, un
garçon qu’ils appelèrent Arthur et que l’on surnomma ensuite Arthur-bach, le
Petit Arthur. L’enfant fut baptisé par Emrys et Argante assista à la cérémonie
dans un esprit de provocation. Elle savait que ni Arthur ni Guenièvre ne
portaient le christianisme dans leur cœur et qu’en baptisant leur petit-fils,
ils cherchaient simplement à se gagner les faveurs des chrétiens de Dumnonie
dont le soutien s’avérerait nécessaire si Gwydre montait un jour sur le trône.
En outre, l’existence même d’Arthur-bach était un reproche pour Mordred. Un roi
devait être fécond, c’était un devoir, et il manquait à ce devoir. Qu’il ait
semé des bâtards dans toute la Dumnonie et l’Armorique importait peu, il n’avait
pas engrossé la reine, aussi celle-ci évoquait-elle sombrement son pied bot, se
remémorait-elle les mauvais présages qui avaient accompagné la naissance de son
époux, et tournait-elle des regards amers vers la Silurie où sa rivale, ma
fille, s’était avérée capable d’engendrer de nouveaux princes. Argante devint
plus désespérée, allant même jusqu’à puiser dans son trésor pour payer en or n’importe
quel charlatan qui lui promettait une matrice pleine, mais toutes les sorcières
de Bretagne ne purent la faire concevoir et, si la rumeur disait vrai, la
moitié des lanciers de la garde non plus. Pendant ce temps, Gwydre attendait en
Silurie et Argante savait qu’à la mort de Mordred, il régnerait sur la Dumnonie,
à moins qu’elle ne mette bas un héritier.
En ces
premières années du règne de Mordred, je m’efforçai de garder le pays en paix
et, durant un certain temps, l’absence du roi m’y aida. Je nommai des
magistrats et m’assurai que la justice d’Arthur se perpétuait. Mon seigneur
avait toujours aimé les bonnes lois, déclarant qu’elles unissaient un pays
comme les planches de saule d’un bouclier sont assujetties par le cuir qui les
recouvre, et il s’était donné énormément de peine pour instituer des magistrats
dont l’impartialité lui semblait assurée. C’étaient, pour la plupart, des
propriétaires terriens, des marchands et des prêtres, suffisamment riches pour
résister au pouvoir corrupteur de l’or. Si les hommes peuvent acheter la loi,
celle-ci ne vaut plus rien, avait toujours déclaré Arthur, et l’honnêteté de
ses magistrats était célèbre, mais les habitants de la Dumnonie s’aperçurent
vite que le pouvoir de ces hommes pouvait être contourné. En payant Sansum ou
Argante, ils s’assuraient que Mordred écrirait d’Armorique pour modifier une
décision, aussi, année après année, je dus combattre une mer sans cesse
croissante de petites injustices. Les magistrats honnêtes se démettaient de
leurs fonctions plutôt que de voir leurs ordonnances
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