Excalibur
gouvernais la Dumnonie, mes lanciers collectaient les
impôts de Mordred et rendaient la justice du roi. Issa accomplissait la plus
grande partie du travail car il portait maintenant le titre de seigneur et je
lui avais confié la moitié de mes hommes. Il était aussi père de famille et Scarach,
son épouse, attendait un autre enfant. Elle vivait avec nous à Dun Caric d’où
mon second partait patrouiller dans le pays ; moi-même, chaque mois et
toujours plus à contrecœur, je me rendais au Conseil royal, à Durnovarie.
Argante présidait ces réunions car Mordred avait ordonné que sa reine y siège à
sa place. Même Guenièvre n’y avait jamais pris part, mais le roi avait insisté
pour que son épouse convoque le Conseil, et elle avait trouvé un allié sûr en
la personne de l’évêque Sansum. Ce dernier logeait au palais et chuchotait
constamment à l’oreille d’Argante tandis que Fergal, son druide, faisait de
même de l’autre côté. Sansum proclamait sa haine de tous les païens, mais quand
il comprit qu’il lui faudrait partager le pouvoir avec Fergal, cette aversion
se transforma en une sinistre alliance. Morgane, l’épouse de Sansum, était
retournée à Ynys Wydryn après la bataille du Mynydd Baddon, cependant l’évêque
demeura à Durnovarie, préférant les confidences de la reine à la compagnie de
son épouse.
Argante
prenait grand plaisir à exercer le pouvoir royal. Je ne pense pas qu’elle ait
éprouvé beaucoup d’amour pour Mordred, mais elle avait la passion de l’argent
et, en demeurant en Dumnonie, elle s’assurait que la plus grande partie des
impôts passerait entre ses mains. Elle ne faisait pas grand-chose de ses biens.
Elle ne construisait pas comme l’avaient fait Arthur et Guenièvre, ne se
souciait pas de restaurer les ponts ou les forts, mais se contentait de
revendre les taxes en nature, sel, céréales ou peaux, pour amasser de l’or.
Elle en envoyait un peu à son époux qui exigeait sans cesse plus d’argent pour
entretenir sa bande de guerriers, mais accumulait le reste dans les caves du
palais, si bien que les habitants de Durnovarie estimaient que leur ville
reposait sur des fondations en or. Argante avait depuis longtemps récupéré le
trésor dissimulé le long de la Voie du Fossé, et ne cessait de l’augmenter ;
elle y était encouragée par Sansum qui, au titre d’évêque de toute la Dumnonie,
ajoutait ceux de conseiller royal et de trésorier du roi. J’étais certain que
cette dernière fonction lui permettait d’écrémer le trésor pour son propre
profit. Je l’accusai de cela un jour et il prit un air blessé. « Je ne me
soucie pas de l’or, répliqua-t-il pieusement. Notre Seigneur ne nous
commande-t-il pas d’accumuler des trésors, non sur la terre, mais au ciel ? »
Je fis la
grimace. « Il peut bien ordonner ce qu’il veut, mais vous, l’évêque, vous
vendriez votre âme pour de l’or, et vous le feriez car ce serait une bonne
affaire. »
Il me lança un
regard soupçonneux. « Une bonne affaire ? Pourquoi ?
— Parce
que vous échangeriez de la saleté contre des espèces sonnantes et trébuchantes. »
Ni lui ni moi n’étions capables de dissimuler notre antipathie mutuelle. Le
Seigneur des Souris m’accusait toujours de rogner les impôts de ceux qui m’accordaient
des faveurs, et comme preuve il soulignait le fait que, chaque année, moins d’argent
rentrait dans le trésor ; pourtant je n’étais pas responsable de cette
baisse. Sansum avait persuadé Mordred de signer un décret qui exemptait les
chrétiens de tout impôt et sans doute l’Église n’avait-elle jamais trouvé meilleur
moyen de faire des convertis. Mordred abrogea cette loi dès qu’il s’aperçut qu’il
se gagnait beaucoup d’âmes, mais peu d’or, alors le trésorier le persuada que l’Église,
et elle seule, devait collecter les impôts des chrétiens. Cela accrut les
recettes une année, mais ensuite, les gens s’aperçurent qu’il était bien moins
coûteux de soudoyer Sansum que de payer le tribut à leur roi. L’évêque proposa
de doubler celui des païens, alors Argante et Fergal s’opposèrent à cette
mesure. La reine suggéra que c’étaient les impôts des Saxons qu’il fallait
augmenter, mais Sagramor refusa de collecter ce surcroît, proclamant que cela
ne ferait que susciter des rébellions dans les régions du Llœgyr que nous
avions colonisées. Rien d’étonnant à ce que ces réunions du Conseil
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