Excalibur
l’endure tous les
soirs ? »
Ce fut la
première fois que j’écoutai chanter Taliesin et je fus séduit. Comme me le dit
Guenièvre plus tard, on avait l’impression qu’il attirait la musique des
étoiles sur la terre. Sa voix, merveilleusement pure, pouvait tenir une note
plus longtemps qu’aucun autre barde que j’aie jamais entendu. Il me raconta par
la suite qu’il travaillait sa respiration, chose que je n’aurais pas crue
nécessaire, et cela signifiait qu’il pouvait, tout en caressant sa harpe,
prolonger une note mourante et la faire vibrer jusqu’à sa fin exquise, ou bien
ébranler la pièce des accents triomphants de sa voix, et je jure qu’en cette
nuit d’été, à Isca, il fit revivre la bataille du Mynydd Baddon. J’entendis
bien d’autres fois Taliesin chanter, toujours avec le même étonnement.
Pourtant c’était
un homme modeste. Il comprenait son pouvoir et en jouissait tranquillement.
Cela lui convenait d’avoir Guenièvre pour protectrice car elle était généreuse,
appréciait son art, et lui permettait de passer des semaines de suite loin du
palais. Je lui demandai où il allait durant ces absences et il me dit qu’il
aimait à chanter pour les habitants des collines et des vallées. « Et je
ne fais pas que chanter, je les écoute aussi. J’apprécie les vieilles chansons.
Parfois ils n’en savent plus que des bribes et je les aide à les retrouver. »
C’était important, dit-il, d’écouter les airs populaires, cela lui apprenait ce
qui leur plaisait, mais il voulait aussi leur chanter ses propres ballades. « C’est
facile de divertir les seigneurs, car ils recherchent les distractions, alors
qu’un fermier a plus besoin de sommeil que de chansons, et si je peux le tenir
éveillé, je sais que mes vers ont de la valeur. » Parfois, il fredonnait
pour lui tout seul. « Je m’assois sous les étoiles et je chante, me dit-il
avec un sourire forcé.
— Tu vois
vraiment le futur ?
— Je le
rêve, répondit-il comme s’il ne s’agissait pas d’un grand don. Mais voir l’avenir,
c’est comme regarder dans le brouillard et le résultat vaut rarement la peine
que l’on se donne. En outre, je ne peux jamais dire, Seigneur, si mes visions
viennent des Dieux ou de mes propres peurs. Après tout, je ne suis qu’un barde. »
Je le trouvais bien évasif. Merlin m’avait dit que Taliesin se condamnait à la
continence pour préserver son don de prophétie, aussi devait-il lui accorder
plus de valeur qu’il ne prétendait ; sans doute le dépréciait-il pour
décourager les questions. Je pensais que Taliesin voyait notre futur bien longtemps
avant qu’aucun de nous puisse l’entrevoir et qu’il ne voulait pas le révéler. C’était
un homme très réservé.
« Rien qu’un
barde ? On dit que tu es le plus grand de tous. »
Il fit non de
la tête, refusant ma flatterie. « Rien qu’un barde, insista-t-il, même si
j’ai reçu une formation de druide. Celafydd, de Cornovie, m’a enseigné les
mystères. Durant deux lustres, je les appris et, le dernier jour, alors que j’aurais
pu prendre le bâton de druide, je suis sorti de la grotte de Celafydd et j’ai
préféré être barde.
— Pourquoi ?
— Parce
qu’un druide a des responsabilités que je ne souhaitais pas, dit-il après une
longue pause. J’aime observer et raconter, Seigneur Derfel. Le temps est une
histoire, et je préfère être son narrateur que son accoucheur. Merlin a voulu
la changer et il a échoué. Je n’ose pas viser si haut.
— Merlin
a échoué ?
— Pas
dans les petites choses, mais dans les grandes ? Oui, répondit-il
calmement. Les Dieux se sont éloignés à jamais et j’ai dans l’idée que ni mes
chants ni tous les feux de Merlin ne pourront les convoquer maintenant. Le
monde se tourne vers de nouveaux Dieux, Seigneur, et peut-être n’est-ce pas une
mauvaise chose. Un dieu est un dieu, et savoir lequel gouverne, est-ce si
important ? Seuls l’orgueil et l’habitude nous rattachent aux anciens
Dieux.
— Suggères-tu
que nous devrions tous devenir chrétiens ? lui demandai-je sévèrement.
— Quel
dieu vous adorez n’a aucune importance pour moi, Seigneur. Je suis seulement
ici pour observer, écouter et chanter. »
Alors Taliesin
chantait tandis qu’Arthur gouvernait avec Guenièvre en Silurie. Ma tâche
consistait à limiter les méfaits de Mordred en Dumnonie. Merlin avait disparu,
sans doute dans les brumes hantées des
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