Excalibur
jamais prisé un homme.
Peredur a
peut-être troublé Arthur, mais quelques autres ombres le firent également. En
ces temps obscurs où nous sommes, lorsque les gens se retournent vers le passé
et se souviennent ce qu’ils ont perdu quand Arthur est mort, ils pensent
généralement à la Dumnonie, mais d’autres pleurent aussi la Silurie, car en ces
années-là, il instaura en ce royaume, auquel personne ne prêtait attention, une
ère de paix et de justice. La maladie et la pauvreté étaient toujours là, et
les hommes ne cessèrent pas de s’enivrer et de s’entre-tuer, mais les veuves savaient
que les cours de justice porteraient remède à leur détresse, et les affamés que
ses greniers contenaient assez de nourriture pour tout un hiver. Aucun ennemi
ne traversait la frontière pour opérer une razzia et, même si la religion chrétienne
se propageait rapidement dans les vallées, Arthur ne laissait pas ses prêtres
profaner les sanctuaires païens, pas plus qu’il ne permettait aux païens d’attaquer
les églises chrétiennes. Il fit de la Silurie ce qu’il avait rêvé de faire de
toute la Bretagne : un havre de paix. Les enfants n’étaient pas enlevés
pour devenir esclaves, les récoltes n’étaient pas brûlées et les seigneurs de
la guerre ne ravageaient pas les fermes.
Cependant,
au-delà des frontières, des ombres s’amassaient. L’absence de Merlin en était une.
Les années passaient et nous n’avions toujours pas de nouvelles, aussi, au bout
d’un moment, les gens présumèrent que le druide avait dû mourir car certes
aucun homme, pas même Merlin, ne pouvait vivre aussi longtemps. Meurig était un
voisin irritable et querelleur, exigeant sans cesse des impôts plus lourds et
une purge des druides qui vivaient dans les vallées de Silurie, pourtant
Tewdric, son père, avait sur lui une influence modératrice, quand on pouvait le
tirer de cette vie de quasi-inanition qu’il s’infligeait. Le Powys demeurait
faible et l’anarchie s’installait de plus en plus en Dumnonie, même si l’absence
de Mordred lui épargnait le pire. En Silurie seulement régnait un certain
bonheur, aussi Ceinwyn et moi commencions à penser que nous finirions nos jours
à Isca. Nous vivions dans l’opulence, nous avions des amis, une famille, et
nous étions heureux.
Bref, nous
étions satisfaits de nous, or le destin est l’ennemi du contentement de soi, et
comme Merlin me l’avait toujours dit, le destin est inexorable.
*
Je chassais
avec Guenièvre dans les collines, au nord d’Isca, lorsque j’appris l’infortune
de Mordred. C’était l’hiver, les arbres étaient nus, et les précieux limiers de
la princesse venaient de lever un grand cerf roux quand un messager de Dumnonie
me retrouva. Il me tendit une lettre puis regarda avec de grands yeux Guenièvre
qui se frayait laborieusement un chemin dans la meute pour mettre fin aux
souffrances de la bête d’un coup miséricordieux de sa courte lance. Ses
chasseurs éloignèrent les chiens avec leurs fouets, puis dégainèrent leurs
couteaux pour éviscérer le cerf. Je dépliai le parchemin, lus le bref message,
puis regardai le porteur. « As-tu montré cela à Arthur ?
— Non,
Seigneur. La lettre vous était adressée.
— Porte-la-lui »,
dis-je en lui rendant la feuille. Guenièvre, maculée de sang et satisfaite, s’écarta
du carnage. « On dirait que tu as reçu de mauvaises nouvelles.
— Au
contraire, elles sont bonnes. Mordred a été blessé.
— Bon ! »
Guenièvre exultait. « Gravement, j’espère ?
— Apparemment.
Un coup de hache à la jambe.
— Dommage
que ce n’ait pas été en plein cœur. Où est-il ?
— Toujours
en Armorique. » Le message, dicté par Sansum, disait que Mordred avait été
surpris et défait par l’armée de Clovis, roi des Francs ; dans la
bataille, il avait été vilainement blessé à la jambe. Il avait fui et était
maintenant assiégé par son ennemi dans l’un des anciens forts du vieux Benoïc,
au sommet d’une colline. Je présumai que Mordred était allé passer l’hiver dans
le territoire qu’il avait conquis sur les Francs et dont il pensait sans doute
se faire un second royaume outremer, mais que Clovis et son armée avaient mené
une campagne hivernale imprévue. Mordred avait été vaincu et bien qu’il fût
encore en vie, il était cerné.
« La nouvelle
est-elle sûre ?
— Relativement.
Le roi Budic a envoyé un messager à
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