Excalibur
Argante.
— Bien !
Bien ! Espérons que les Francs le tueront. » Elle se retourna vers le
tas d’abats fumants afin d’offrir quelque bon morceau à ses chiens chéris. « Ils
le tueront, n’est-ce pas ? me demanda-t-elle.
— Les
Francs ne sont pas connus pour leur miséricorde.
— J’espère
qu’ils danseront sur ses os. Oser se faire appeler le second Uther !
— Il s’est
bien battu, Dame.
— Ce qui
importe, ce n’est pas de bien combattre, Derfel, c’est de remporter la dernière
bataille. » Elle jeta des morceaux d’entrailles à ses chiens, essuya la
lame de son couteau sur sa cotte, puis le remit dans sa gaine. « Alors, qu’est-ce
qu’Argante veut de toi ? me demanda-t-elle. Que tu viennes en aide à son époux ? »
Argante demandait exactement cela, Sansum aussi, et c’était pour cette raison
qu’il m’avait écrit. Son message m’ordonnait de marcher avec tous mes hommes
jusqu’à la côte sud, de réquisitionner des bateaux et de me porter au secours
de Mordred. Je répétai cela à Guenièvre qui me lança un regard moqueur. « Et
tu vas me dire que ton serment au petit bâtard t’oblige à obéir ?
— Je n’ai
pas prêté serment à Argante, et certainement pas à Sansum. » Le Seigneur
des Souris pouvait m’ordonner tout ce qu’il voulait, je n’avais pas besoin de
lui obéir, ni aucun désir de sauver Mordred. En outre, je doutais qu’une armée
puisse se rendre en Armorique durant l’hiver, et même si mes lanciers
survivaient à la rude traversée, ils seraient trop peu nombreux pour vaincre
les Francs. La seule aide que pouvait espérer Mordred serait celle du roi de
Brocéliande, Budic, qui avait épousé la sœur aînée d’Arthur, Anna. Peut-être s’était-il
réjoui que Mordred tue des Francs sur la terre qui avait appartenu à Benoïc,
mais il n’avait sûrement pas envie d’attirer l’attention de Clovis en envoyant
des lanciers au secours de Mordred. Notre roi était condamné, pensai-je. Si sa
blessure ne le tuait pas, il mourrait de la main de Clovis.
Pendant le
reste de l’hiver, Argante me harcela de messages exigeant que je fasse
traverser la mer à mes hommes, mais je demeurai en Silurie et l’ignorai. Issa
reçut les mêmes ordres, mais il refusa catégoriquement d’obéir tandis que
Sagramor se contentait de jeter au feu les lettres d’Argante. Celle-ci, voyant
son pouvoir lui échapper avec la vie déclinante de son époux, devint si
désespérée qu’elle offrit de l’or aux lanciers qui s’embarqueraient pour l’Armorique.
Même si un grand nombre d’entre eux acceptèrent son or, ils préférèrent voguer
vers Kernow ou se réfugier dans le Gwent plutôt que de faire voile vers le sud
où la sinistre armée de Clovis les attendait. Plus Argante désespérait, plus
nos espoirs croissaient. Mordred était piégé et malade, tôt ou tard la nouvelle
de sa mort nous parviendrait ; nous projetions alors d’entrer en Dumnonie
sous la bannière d’Arthur, avec Gwydre comme candidat à sa succession. Sagramor
viendrait de la frontière saxonne pour nous soutenir et nul homme, en ce pays,
n’aurait le pouvoir de s’opposer à nous.
Mais d’autres
pensaient aussi au trône de Dumnonie. J’appris cela au début du printemps,
lorsque saint Tewdric mourut. Arthur éternuait et frissonnait, aux prises avec
le dernier rhume de l’hiver, et demanda à Galahad de le remplacer aux rites funéraires
du vieux roi, à Burrium, la capitale du Gwent qui se trouvait à une courte
journée de navigation sur la rivière, en amont d’Isca ; Galahad me demanda
instamment de l’accompagner. Je pleurais Tewdric qui avait été un bon ami,
pourtant je ne souhaitais pas assister à ses funérailles et endurer l’interminable
bourdonnement des rites chrétiens, mais Arthur ajouta sa voix à celle de
Galahad. « Nous vivons ici grâce au bon plaisir de Meurig, me
rappela-t-il, et nous lui devons des marques de respect. J’irais si je le
pouvais... » Il se tut pour éternuer. « Mais Guenièvre dit que cela
me tuerait. »
Alors, Galahad
et moi, nous y allâmes à la place d’Arthur et la cérémonie funèbre nous parut
interminable. Elle eut lieu dans une grande église ressemblant à une grange que
Meurig avait fait construire l’année du prétendu cinq centième anniversaire de
la venue du Seigneur Jésus-Christ sur cette terre pécheresse, et une fois les
prières dites ou chantées, il fallut en endurer d’autres
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