Excalibur
n’étions que onze et je
doutais de pouvoir rejoindre Sagramor dont les forces se trouvaient très loin à
l’est. En outre, il n’avait pas besoin de nous. Mordred n’avait eu aucun mal à
vaincre la petite garnison de Dun Caric, mais s’en prendre au Numide était une
tout autre affaire. Je ne pouvais pas non plus espérer retrouver Issa, s’il
vivait encore, aussi il ne nous restait plus qu’à rentrer chez nous, pleins de
colère et de frustration. Il m’est difficile de décrire la rage qui m’habitait.
Au cœur, on y trouvait une froide haine pour Mordred, une haine impuissante et
douloureuse parce que je savais que je ne pouvais rien faire pour apporter à
ces gens, qui avaient été les miens, une rapide vengeance. J’avais aussi l’impression
de les avoir abandonnés. J’éprouvais de la culpabilité, de la haine, de la
pitié, et une tristesse douloureuse.
Je mis un
homme de garde au portail grand ouvert pendant que nous tirions les corps dans
le manoir. J’aurais bien aimé les brûler, mais il n’y avait pas assez de bois
dans l’enclos et nous n’avions pas le temps de faire tomber le toit de chaume
sur les cadavres, aussi nous nous contentâmes de bien les aligner, puis je
priai Mithra de m’accorder une occasion de leur offrir une vengeance
appropriée. « Nous ferions mieux de fouiller le village », dis-je à
Eachern quand j’eus terminé ma prière, cependant on ne nous en laissa pas le
temps. Ce jour-là, les Dieux nous avaient abandonnés.
L’homme posté
à la porte n’avait pas bien monté la garde. Je ne peux pas l’en blâmer. Nous
avions tous l’esprit troublé et la sentinelle avait dû garder les yeux fixés
sur l’enclos trempé de sang et non sur les alentours, aussi n’aperçut-il les
cavaliers que trop tard. Je l’entendis crier ; le temps que je sorte en
courant du manoir, il était déjà mort et un homme à cheval arrachait sa lance
du corps transpercé. « Tuez-le ! » hurlai-je et je me précipitai
vers lui ; je m’attendais à ce qu’il fasse demi-tour et s’enfuie, mais il
lâcha sa lance et éperonna sa monture pour pénétrer dans l’enclos. D’autres
cavaliers le suivaient de près.
« Rassemblement ! »
criai-je, et les neuf hommes restants se groupèrent autour de moi en un petit
cercle de boucliers, bien que la plupart d’entre nous n’en aient plus, car nous
les avions abandonnés pour traîner les morts dans le manoir. Certains n’avaient
même pas de lance. Je tirai Hywelbane tout en sachant qu’il n’y avait guère d’espoir,
car maintenant plus de vingt cavaliers avaient pénétré dans l’enclos et d’autres
gravissaient la colline au galop. Ils avaient dû se cacher dans les bois en espérant
le retour d’Issa. J’avais fait de même à Benoïc. Nous avions tué les Francs d’un
avant-poste éloigné, puis attendu les autres en embuscade, et aujourd’hui, je m’étais
fourré dans un piège semblable.
Je ne reconnus
aucun des cavaliers, ils ne portaient pas d’emblème sur leurs boucliers.
Quelques-uns les avaient recouverts de poix, mais ces hommes n’appartenaient
pas aux Blackshields d’Œngus Mac Airem. C’était une bande de vétérans balafrés
de cicatrices, barbus, aux cheveux embroussaillés, et sinistrement sûrs d’eux.
Leur chef montait un cheval noir et avait un beau casque aux protège-joues
gravés. Il rit quand l’un de ses hommes déploya la bannière de Gwydre, puis se
retourna et éperonna son cheval pour s’avancer vers moi. « Seigneur Derfel »,
me salua-t-il.
Durant
quelques battements de cœur, je continuai à examiner l’enclos dans l’espoir
farouche d’y trouver un moyen de fuir, mais nous étions encerclés par les
cavaliers qui attendaient l’ordre de nous tuer. « Qui êtes-vous ? »
demandai-je à l’homme au casque décoré.
Il se contenta
de rabattre ses protège-joues. Puis il me sourit.
Ce n’était pas
un sourire aimable, et celui qui l’arborait n’avait rien d’aimable non plus. Je
regardai fixement Amhar, l’un des fils jumeaux d’Arthur. « Amhar ap Arthur »,
le saluai-je, puis je crachai.
« Prince
Amhar », me corrigea-t-il. Comme son frère Loholt, il avait conçu une
grande amertume de sa naissance illégitime et décidé récemment d’adopter le
titre de prince, bien que son père ne fût pas roi. Cette prétention aurait paru
pathétique si Amhar n’avait pas autant changé depuis la dernière fois que je l’avais
brièvement
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