Excalibur
fumée ne montait des toits, pas même
de la forge.
« Toujours
pas de chiens », dit Eachern d’un air sinistre. On gardait habituellement
une meute aux alentours du manoir de Dun Caric, et certains auraient dû se
précipiter à notre rencontre. Par contre, des corbeaux tapageurs étaient posés
sur le toit et d’autres criaient, perchés sur la palissade. L’un d’eux s’envola,
emportant dans son bec un gros morceau grumeleux de viande rouge.
Aucun de nous
ne parla tandis que nous gravissions la colline. Le silence avait été le
premier signe de l’horreur, puis les corbeaux, et à mi-pente nous sentîmes
cette puanteur douceâtre de la mort qui vous prend à la gorge, et l’odeur plus
forte que le silence et plus éloquente que les charognards nous avertit de ce
qui nous attendait derrière les portes ouvertes. La mort, rien que la mort. Dun
Caric était devenu un antre de mort. Des corps d’hommes et de femmes étaient
disséminés dans tout l’enclos et s’empilaient à l’intérieur. Quarante-six
cadavres, tous sans tête. Le sol était trempé de sang. On avait pillé le
manoir, les coffres et les paniers étaient retournés, les étables vides. Même
les chiens avaient été tués, mais eux du moins, on ne les avait pas décapités.
Les seuls êtres vivants étaient les chats et les corbeaux qui s’enfuirent en
nous entendant arriver.
Je traversai
tout cela, comme hébété. Aussi, je ne m’aperçus pas tout de suite qu’il n’y
avait que dix jeunes hommes parmi les morts. Ce devait être les gardes laissés
par Issa, et les autres corps, des membres de leurs familles. Pyrlig était là,
le pauvre Pyrlig resté à Dun Caric parce qu’il savait qu’il ne pouvait rivaliser
avec Taliesin, et maintenant il reposait là, mort ; sa robe blanche était
trempée de sang, ses mains de harpiste portaient de nombreuses blessures reçues
sans doute lorsqu’il avait tenté de parer les coups d’épée. Issa n’était pas
là, ni Scarah, son épouse, car il n’y avait pas de jeunes femmes dans ce
charnier, ni d’enfants. On avait dû les emmener pour en faire soit des jouets
soit des esclaves, et massacrer les vieux, les bébés et les gardes et emporter
leurs têtes comme trophées. Le carnage était récent car aucun cadavre n’avait
commencé à enfler ou à pourrir. Des mouches grouillaient dans le sang, mais
aucun asticot ne se tortillait dans les blessures béantes provoquées par les
lances et les épées.
Je vis que la
grande porte avait été arrachée de ses gonds, cependant il n’y avait nul signe
de bataille et je soupçonnai ceux qui avaient perpétré ce massacre d’avoir été
invités à entrer dans l’enclos du manoir.
« Qui a
fait cela, Seigneur ? demanda l’un de mes lanciers.
— Mordred,
dis-je sombrement.
— Mais il
est mort ! Ou mourant !
— Il nous
l’a juste fait croire. » Je ne trouvais aucune autre explication. Taliesin
m’avait averti et je craignais que le barde n’ait vu juste. Mordred n’était pas
du tout mourant, il était revenu et avait lâché sa bande de soudards sur son
propre pays. La rumeur de sa mort avait eu pour dessein de faire croire aux
gens qu’ils étaient en sécurité, et pendant tout ce temps il se préparait à
revenir tuer tous les lanciers qui s’opposeraient à lui. Mordred était en train
de rejeter tout frein, ce qui signifiait qu’après ce massacre, il avait dû
partir vers l’est, à la recherche de Sagramor, ou tenter de surprendre Issa,
dans le sud-ouest. Si Issa vivait encore.
C’était de
notre faute, je suppose. Après la victoire du Mynydd Baddon, quand Arthur avait
renoncé à gouverner, nous avions cru que la Dumnonie serait protégée par les
guerriers fidèles à Arthur et à ses convictions, et que le pouvoir de Mordred
serait restreint parce qu’il n’avait pas de lanciers. Aucun de nous n’avait
prévu que notre victoire donnerait le goût de la guerre à notre roi, ni que ses
succès attireraient des hommes sous sa bannière. Il avait maintenant des
lances, et les lances procurent le pouvoir, et j’en voyais le premier exercice.
Mordred écumait les terres de ceux qui avaient été placés là pour limiter son
pouvoir royal et qui risquaient d’apporter leur soutien à Gwydre.
« Que
faisons-nous, Seigneur ? me demanda Eachern.
— Nous
rentrons à la maison, Eachern, nous retournons chez nous. » Et par là, j’entendais
la Silurie. Nous ne pouvions rien faire ici. Nous
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