Excalibur
offrir à mon roi,
mais je savais que Mordred ne me croirait pas et, pire encore, je me serais
méprisé de mentir ainsi. Alors, je levai la tête. « J’espérais la brandir
à l’annonce de votre mort, Seigneur Roi. »
Ma sincérité
le surprit. La foule murmura, mais Mordred se contenta de tambouriner sur le
bras de son fauteuil. « Tu te proclames traître, dit-il au bout d’un
moment.
— Non,
Seigneur Roi. J’ai peut-être espéré votre mort, mais je n’ai rien fait pour la
provoquer.
— Tu n’es
pas venu à mon secours ! cria-t-il.
— C’est
vrai.
— Pourquoi ?
— J’aurais
sacrifié des hommes bons pour des mauvais », dis-je en montrant ses
guerriers. Cela les fit rire.
« Et tu
espérais que Clovis me tuerait ? demanda Mordred quand les rires se furent
éteints.
— Beaucoup
l’espéraient, Seigneur Roi, répondis-je, et de nouveau, ma franchise parut le
surprendre.
— Alors,
Seigneur Derfel, donne-moi une bonne raison pour que je ne te tue pas. »
Je restai
silencieux un court instant, puis je haussai les épaules. « Je n’en trouve
aucune, Seigneur Roi. »
Mordred tira
son épée, la posa sur ses genoux, puis mit les mains à plat sur la lame. « Derfel,
annonça-t-il, je te condamne à mort.
— C’est
mon privilège, Seigneur Roi ! réclama Loholt d’un air avide. Il est à moi ! »
Et la foule donna de la voix, pour affirmer son soutien. Me regarder mourir
lentement aurait ouvert leur appétit pour le souper que l’on préparait au
sommet de la colline.
« C’est
ton privilège de lui couper la main, Prince Loholt », décréta Mordred. Il
se leva et descendit de l’amas de têtes en boitillant, avec précaution, l’épée
nue à la main. « Mais c’est mon privilège de lui prendre la vie »,
dit-il en se rapprochant. Il glissa la lame entre mes jambes et m’adressa un
sourire tordu. « Avant que tu meures, Derfel, nous te prendrons plus que
les mains.
— Mais
pas ce soir ! cria une voix perçante. Seigneur Roi ! Pas ce soir ! »
Un murmure s’éleva de la foule. Mordred parut plus étonné qu’offensé par l’interruption
et ne dit rien. « Pas ce soir ! » lança l’homme de nouveau et,
me retournant, je vis Taliesin traverser calmement la multitude excitée qui lui
ouvrit le passage. Il portait sa harpe et son petit sac en cuir, mais maintenant,
il avait aussi un bâton noir, si bien qu’il ressemblait tout à fait à un
druide. « Seigneur Roi, je peux vous donner une très bonne raison de ne
pas tuer Derfel ce soir.
— Qui
es-tu ? » demanda Mordred.
Taliesin
ignora la question. Il s’avança vers Fergal, les deux hommes s’étreignirent et
s’embrassèrent, et ce ne fut qu’après ce salut protocolaire que Taliesin revint
à Mordred. « Je suis Taliesin, Seigneur Roi.
— Et tu
es la chose d’Arthur, railla Mordred.
— Je ne
suis la chose d’aucun homme, Seigneur Roi, répliqua calmement Taliesin, et
comme vous choisissez de m’insulter, je n’en dirai pas plus. C’est tout un pour
moi. » Il tourna le dos à Mordred et commença à s’éloigner.
« Taliesin ! »
cria Mordred. Le barde se retourna pour le regarder, mais ne dit rien. « Je
n’avais pas l’intention de t’insulter », dit le roi, qui ne désirait pas
éveiller l’hostilité d’un sorcier.
Taliesin
hésita, puis signifia par un hochement de tête qu’il acceptait l’excuse du roi.
« Seigneur Roi, merci. » Il parlait gravement, comme il sied à un
druide s’adressant à un roi, sans déférence ni crainte révérencielle. Il était
célèbre en tant que barde, non en tant que druide, pourtant tout le monde le
traita comme s’il l’était et il ne fît rien pour corriger leur méprise. Il
portait la tonsure druidique et le bâton noir, parlait avec une autorité
retentissante et avait salué Fergal en égal. Taliesin voulait visiblement qu’ils
croient à sa duperie, car on ne peut tuer ou maltraiter un druide, même celui d’un
ennemi. Jusque sur un champ de bataille, les druides pouvaient se déplacer en
toute sécurité et Taliesin garantissait ainsi la sienne. Un barde ne jouissait
pas de la même immunité.
« Alors,
dis-moi pourquoi cet être ne doit par mourir ce soir, dit Mordred en pointant
son épée sur moi.
— Il y a
quelques années, Seigneur Roi, répondit Taliesin, le seigneur Derfel m’a donné
de l’or pour que je jette un sort sur ton épouse. Ce sort l’a rendue stérile.
Weitere Kostenlose Bücher