Excalibur
rois
comme Cuneglas, des créatures semblables à Sansum gouverneraient en tous lieux.
Si Taliesin ne se trompait pas en disant que nos Dieux disparaîtraient, et avec
eux, nos druides, et après eux, les grands rois, alors une tribu de Seigneurs
des Souris viendraient régner sur nous.
Le lendemain
amena le soleil et un vent capricieux qui rabattit vers notre cabane la
puanteur des têtes coupées. On ne nous laissa pas sortir et nous fûmes obligés
de nous soulager dans un coin. On ne nous donna rien à manger, on nous jeta seulement
une vessie pleine d’eau infecte. On releva la garde, mais les nouveaux étaient
tout aussi vigilants. Amhar vint nous voir une fois, mais seulement pour se
réjouir avec malveillance. Il tira Hywelbane, en baisa la lame, la polit sur sa
cape, puis tâta son fil bien affûté. « Assez tranchante pour te couper les
mains, Derfel. Je suis sûr que mon frère aimerait en avoir une. Il pourra la
faire monter sur son casque ! Et je prendrais l’autre. J’ai besoin d’un
nouveau cimier. » Je ne répondis rien et, au bout d’un moment, il se lassa
de ses tentatives de provocation et s’éloigna en décapitant les orties avec mon
Hywelbane.
« Peut-être
Sagramor va-t-il tuer Mordred, me chuchota Sansum.
— Je l’espère.
— C’est
là que Mordred est allé, j’en suis sûr. Il est venu ici, il a envoyé Amhar à
Dun Caric, et puis il est parti à cheval en direction de l’est.
— Combien
d’hommes Sagramor a-t-il ?
— Deux
cents.
— Ce n’est
pas beaucoup.
— Peut-être
Arthur viendra-t-il ? suggéra-t-il.
— Maintenant,
il doit savoir que Mordred est revenu, mais il ne peut pas traverser le Gwent
avec ses troupes car Meurig ne le laissera pas passer, ce qui signifie qu’il
doit faire venir ses hommes par bateau. Et je doute qu’il le fasse.
— Pourquoi ?
— Parce
que Mordred est le roi légitime, l’évêque, et Arthur, même s’il déteste
Mordred, ne lui déniera pas ce droit. Il ne rompra pas le serment prêté à Uther.
— Il n’essaiera
pas de venir à ton secours ?
— Comment
le pourrait-il ? Dès que ces hommes verront Arthur approcher, ils nous
trancheront la gorge.
— Que
Dieu nous sauve. Jésus, Marie et tous les Saints, protégez-nous.
— Je vais
plutôt prier Mithra.
— Païen ! »
siffla Sansum, mais il ne tenta pas d’interrompre ma prière.
Les heures s’égrenèrent
lentement. C’était une journée de printemps d’une beauté absolue, mais pour
moi, elle fut amère comme le fiel. Je savais qu’on ajouterait ma tête à la pile
qui s’entassait en haut de Caer Cadarn, cependant ce n’était pas la raison la
plus cuisante de ma détresse : j’avais manqué à mes engagements envers mon
peuple. J’avais mené mes lanciers dans un piège, je les avais vus mourir, je
leur avais fait défaut. Si dans l’Autre Monde ils m’accueillaient avec des
reproches, je l’aurais bien mérité ; mais je savais qu’ils me
retrouveraient avec joie, et cela ne faisait que me culpabiliser encore plus.
Pourtant, la perspective de l’Autre Monde m’était un réconfort. J’y avais des
amis et deux filles, et quand la torture serait terminée et mon âme libérée de
son corps-ombre, nous aurions la joie d’être réunis. Sansum, je le vis, ne
trouvait nulle consolation dans sa religion. Tout le jour, il gémit, se
lamenta, pleura et se répandit en injures, mais tout ce bruit ne servait à
rien. Nous ne pouvions qu’attendre, durant une autre nuit et une autre longue
journée sans manger.
Mordred revint
en fin d’après-midi de ce second jour. Il arriva de l’est, conduisant à cheval
une longue colonne de lanciers qui saluèrent à grands cris les soldats d’Amhar.
Un groupe de cavaliers accompagnait le roi et, parmi eux, Loholt, le manchot. J’avoue
que je fus effrayé en le voyant. Certains des hommes de Mordred portaient des
ballots qui devaient contenir des têtes coupées, et je ne me trompais pas ;
cependant elles étaient bien moins nombreuses que je le craignais. Peut-être
vingt ou trente furent jetées sur le tas bourdonnant de mouches, et pas une d’entre
elles ne semblait avoir la peau noire. Je devinai que Mordred avait surpris et
massacré l’une des patrouilles de Sagramor, mais qu’il avait manqué sa
principale prise. Le Numide restait libre, et cela me consola. Mon merveilleux
ami était un terrible ennemi. Arthur aurait fait un bon ennemi, car il avait
toujours été enclin
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