Excalibur
tut et je n’entendis plus que de doux accords plaqués sur la
harpe. Il me sembla qu’ils avançaient en direction de notre cabane et des
gardes qui, assis dans l’herbe humide, écoutaient la musique.
Le son de l’instrument
se rapprocha encore et, enfin, je distinguai Taliesin dans le brouillard. « Je
vous ai apporté de l’hydromel », dit-il à mes gardes. Il sortit de son sac
une jarre bouchée qu’il tendit à l’un d’eux et, pendant que celle-ci passait de
main en main, il chanta pour eux. Il exécuta la plus douce chanson de toute
cette nuit hantée par la musique, une berceuse capable d’endormir un monde
troublé, et en effet, ils s’endormirent. Un par un, les gardes glissèrent sur
le côté, et toujours Taliesin chantait, sa voix enchantant toute la forteresse ;
il ne cessa et laissa retomber sa main des cordes de la harpe que lorsque l’un
des hommes se mit à ronfler. « Je crois, Seigneur Derfel, que vous pouvez
sortir maintenant, dit-il très calmement.
— Moi
aussi ! » Sansum, me repoussant, franchit la porte le premier, à
quatre pattes.
Taliesin
sourit lorsque j’apparus. « Merlin m’a ordonné de vous sauver, Seigneur,
bien qu’il dise que vous ne l’en remercierez peut-être pas.
— Bien
sûr que si.
— Venez !
glapit Sansum. On n’a pas le temps de parler. Venez ! Vite !
— Attendez,
espèce de pleurnicheur, lui dis-je, puis je me baissai pour prendre la lance d’un
des gardes endormis. Quel sortilège as-tu utilisé ? demandai-je à
Taliesin.
— Un
homme n’a pas besoin de sortilège pour endormir des gens ivres, mais pour vos
gardes, je me suis servi d’une infusion de racine de mandragore.
— Attends-moi
là.
— Derfel !
Nous devons partir ! siffla Sansum affolé.
— Il vous
faudra attendre, l’évêque », répondis-je, et je disparus dans la brume, me
glissant vers la lueur indistincte des plus grands feux. Ils brûlaient dans l’église
à demi édifiée, longs murs de bois inachevés présentant de larges interstices
entre les rondins. Elle était pleine d’hommes endormis, mais certains s’étaient
réveillés et regardaient dans le vide, les yeux larmoyants, comme tirés d’un
enchantement. Les chiens qui les poussaient du museau, réclamant de la
nourriture ou des jeux, étaient en train d’en réveiller d’autres. Certains me
regardèrent, mais nul ne me reconnut. Pour eux, j’étais juste un lancier quelconque
qui se déplaçait dans la nuit.
Je découvris
Amhar près de l’un des feux. Il dormait la bouche ouverte et mourut ainsi. Je
lui fourrai la lance dans la bouche, m’arrêtai assez longtemps pour que ses
yeux s’ouvrent et qu’il me reconnaisse, puis enfonçai la lame dans son cou et
son épine dorsale afin de le clouer au sol. Il se contracta lorsque je le tuai
et la dernière chose que son âme vit de cette terre, ce fut mon sourire. Puis
je me penchai, tirai la laisse de poils de barbe de sa ceinture, détachai
Hywelbane et sortis de l’église. J’aurais voulu chercher Mordred et Loholt,
mais d’autres dormeurs se réveillèrent et un homme me demanda qui j’étais, aussi
je replongeai dans l’obscurité brumeuse et remontai en toute hâte au sommet de
la colline où Taliesin et Sansum m’attendaient. « Il faut partir !
chevrota Sansum.
— Seigneur,
j’ai des brides près des remparts, me dit Taliesin.
— Tu as
pensé à tout », dis-je admiratif. Je m’arrêtai pour jeter les restes de ma
barbe dans le petit feu qui avait réchauffé nos gardes, et quand j’eus constaté
que les dernières mèches étaient réduites en cendres, je suivis Taliesin vers
les remparts nord. Il trouva les deux brides dans l’ombre, puis nous gravîmes
la plate-forme de combat et là, dissimulés aux yeux des gardes par le
brouillard, nous passâmes par-dessus la muraille et retombâmes sur le versant.
La brume disparut à mi-pente et nous courûmes jusqu’au pré où la plupart des
chevaux de Mordred passaient la nuit. Taliesin réveilla deux des bêtes en leur
caressant doucement les naseaux et en leur chantant à l’oreille, et ils se
laissèrent calmement passer la bride.
« Vous
pouvez chevaucher sans selle, Seigneur ? me demanda-t-il.
— Sans
cheval, cette nuit, si nécessaire.
— Et moi ? »
demanda Sansum tandis que je me hissais sur l’une des montures.
Je le
regardai. Je fus tenté de l’abandonner dans la prairie, car de toute sa vie il
n’avait cessé de trahir et je ne
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