Excalibur
J’ai
utilisé pour cela la matrice d’une biche que j’ai remplie des cendres d’un
enfant mort. »
Mordred
regarda Fergal, qui acquiesça d’un signe de tête. « C’est un moyen valable,
Seigneur Roi, confirma le druide irlandais.
— C’est
faux ! criai-je, et je reçus pour châtiment un autre coup de griffes d’ours.
— Je peux
dissiper le sortilège, poursuivit Taliesin, mais seulement si le seigneur
Derfel vit encore, car c’est lui qui l’a commandé, et si je le faisais
maintenant, au coucher du soleil, ce ne serait pas accompli selon les règles.
Je dois le faire à l’aube, Seigneur Roi, car l’enchantement doit être annulé
quand le soleil se lève, ou votre reine restera à jamais sans enfants. »
Mordred jeta
de nouveau un coup d’œil à Fergal, et les petits os attachés à la barbe du
druide cliquetèrent lorsqu’il acquiesça. « Il dit vrai, Seigneur Roi.
— Il ment ! »
protestai-je.
Mordred remit
son épée au fourreau. « Pourquoi me proposes-tu cela, Taliesin ?
— Arthur
est vieux, Seigneur Roi, répondit-il en haussant les épaules. Son pouvoir s’affaiblit.
Les druides et les bardes doivent chercher protection là où le pouvoir se lève.
— Fergal
est mon druide », répliqua Mordred. Je le croyais chrétien, mais ne fus
pas surpris d’apprendre qu’il était revenu au paganisme. Notre roi n’avait
jamais été bon chrétien, même si ce n’était que le moindre de ses péchés.
« Je
serai honoré d’apprendre de mon frère d’autres savoirs, dit Taliesin en saluant
Fergal, et je jure de suivre ses conseils. Je ne cherche qu’à mettre mes petits
pouvoirs au service de votre grande gloire, Seigneur Roi. »
Il était onctueux.
Il parlait avec du miel sur la langue. Bien que je ne lui aie jamais donné d’or
pour qu’il jette un sort, mais tout le monde le croyait, et surtout Mordred et
Argante. C’est ainsi que Taliesin, au front brillant, me permit de vivre une
nuit de plus. Loholt était déçu, cependant Mordred lui promit qu’à l’aube il
aurait mon âme aussi bien que ma main, et cela lui apporta un peu de
consolation.
On me fit
retourner, en rampant, à la cabane. Je fus battu en cours de route, mais je
survécus.
Amhar ôta de
mon cou la laisse en poils de barbe, puis me fit rentrer à coups de pied. « On
se retrouvera à l’aube, Derfel », dit-il.
Avec le soleil
dans mes yeux et une lame sur ma gorge.
*
Cette nuit-là,
Taliesin chanta pour les hommes de Mordred. Ils s’étaient rassemblés dans l’église
inachevée que Sansum avait commencé à bâtir sur Caer Cadarn et qui, délabrée,
sans toit, servait maintenant de manoir ; c’est là que Taliesin les charma
de sa musique. Jamais auparavant, ni depuis, il ne chanta aussi magnifiquement.
D’abord, comme tout barde s’adressant à des guerriers, il dut lutter contre la
rumeur des voix, mais peu à peu son talent les réduisit au silence. Il s’accompagnait
à la harpe et choisit des complaintes, mais d’une telle beauté que les lanciers
l’écoutèrent dans un silence stupéfait. Même les chiens cessèrent de glapir et
demeurèrent cois tandis que Taliesin le Barde chantait dans la nuit. S’il s’arrêtait
trop longtemps entre deux ballades, les lanciers en réclamaient d’autres, et
alors, il reprenait, sa voix s’éteignant à la fin de la mélodie, puis s’élevant
encore avec de nouveaux vers, mais toujours calmant ses auditeurs ; les
hommes de Mordred buvaient, écoutaient, la boisson et les chants les faisaient
pleurer, et toujours Taliesin chantait pour eux. Sansum et moi l’écoutions également,
nous aussi nous pleurions de la tristesse éthérée des complaintes, mais comme
la nuit s’écoulait, Taliesin commença à entonner des berceuses,
de douces berceuses, de tendres berceuses, des berceuses faites pour endormir
des hommes ivres, et tandis qu’il chantait, l’air se refroidit et une brume
prit forme au-dessus de Caer Cadarn.
Elle s’épaissit
et, inlassablement, Taliesin chantait. Même si le monde devait durer pendant
les règnes d’un millier de rois, je doute que les hommes entendent jamais des
chansons si merveilleusement interprétées. Et pendant ce temps, le brouillard
enveloppait le sommet de la colline, si bien que les feux pâlissaient et que
les chants de Taliesin emplissaient la nuit, tels des chants de spectres
émanant de la terre des morts.
Puis, dans le
noir, sa voix se
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